La mixité sociale et culturelle, dans les institutions du théâtre public, se gagne à la sueur du front. Au CDN Besançon Franche-Comté, Célie Pauthe et son équipe travaillent depuis plusieurs années à un ensemble d’actions complémentaires qui visent à ouvrir les portes du théâtres aux jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville.
Il faut s’éloigner du centre de Besançon, rouler une dizaine de minutes vers la banlieue Nord pour rejoindre Pierre-Adrien Pâris, lycée professionnel surplombant les abords de la campagne doubienne. Cet établissement forme plus de 400 étudiants aux métiers de la construction durable, de la 3ème au CAP et du bac pro au BTS. On y apprend les métiers de maçon, plaquiste, géomètre-topographe ou chef de chantier. A priori, on est loin du CDN, de sa programmation et son public. Pourtant, ce jour-là, un peu de l’institution théâtrale s’invite dans une salle de classe.
« Trop dur », le théâtre ?
Théo, Kevyn, Fayze et Mahmoud sont en première année de CAP d’électricien, dans une classe aux effectifs instables, à cause de décrochages et de situations souvent compliquées. Théo Pierrat, le jeune comédien qui anime l’atelier, œuvre à maintenir dans l’assemblée une attention active, là où l’inhibition tend à faire barrière. Au programme, un échauffement suivi d’un travail d’improvisation. La timidité est encore palpable. Pour cause, ce cours est une expérimentation toute neuve, lancée depuis la rentrée avec le concours des équipes du CDN, du proviseur Gilles Quignard, du rectorat et de la DRAC. Ces élèves sont les tout premiers bénéficiaires de cette option jusqu’à présent inédite en lycée professionnel.
Si Théo avait été sensibilisé au théâtre durant ses années de collège, ses trois camarades découvrent la pratique avec un plaisir mâtiné de prudence. Ce qu’ils préfèrent dans ce cours ? Le « samouraï », c’est-à-dire le jeu de coordination physique qui sert d’échauffement. Mais lorsque l’on cherche un peu, Mahmoud nous avoue qu’il prend du plaisir à jouer, même s’il ne se voit pas continuer après ces deux années d’option obligatoire. « Trop dur » pour cet élève allophone que son cursus ne destine pas, au départ, à un tel travail du texte.
« Donner envie et confiance »
C’est pour des élèves comme Mahmoud que l’équipe du CDN déploie ses efforts, afin, comme l’explique sa directrice Célie Pauthe, de « donner envie et confiance à ceux qui, demain, seront peut-être des acteurs ». D’où le choix de rendre obligatoire l’option à Pierre-Adrien Pâris, afin d’aller cueillir des élèves qui peut-être aimeraient mais n’oseraient pas, par eux-mêmes, s’essayer à la comédie.
En l’absence d’école supérieure d’art dramatique sur son territoire, la région de Bourgogne-Franche-Comté peut compter sur deux formations post-bac : un Cycle d’orientation professionnelle au conservatoire et un DEUST, diplôme universitaire professionnalisant orienté vers le métier d’acteur. Mais la mixité reste un sujet dans ces formations, dans les concours desquelles les jeunes issus des quartiers prioritaires sont absents. « Le travail nous revient à nous », conclut-on au CDN.
Organiser la mixité dès le collège
La distance qui sépare une certaine jeunesse du théâtre et de sa pratique est sociale bien plus que géographique. Les jeunes des campagnes environnant Besançon sont beaucoup plus nombreux à accéder aux formations théâtrales. Ce problème se reflète dans l’examen plus général de la mixité dans les arts dramatiques : « Ça bouge, mais beaucoup trop lentement », regrette Célie Pauthe.
L’idée est donc d’accompagner les élèves depuis le collège jusqu’à l’entrée dans les études supérieures. L’action est donc pensée en plusieurs étapes. Il y a d’abord ces modules dans le secondaire : à l’option expérimentale du lycée Pâris s’ajoute la création d’une classe à horaires aménagés théâtre au collège Voltaire. Pour les élèves de cet établissement situé dans le quartier prioritaire de Planoise, cette option offrira dès la rentrée 2022 trois heures hebdomadaires de pratique et de culture théâtrales intégrées aux agendas, ainsi que des sorties au théâtre et des rencontres avec des professionnels.
Des salles de classe jusqu’au CDN
Entre les murs du CDN, d’autres actions sont mises en place pour accueillir les élèves des quartiers prioritaires. Le théâtre reçoit cette année dix-neuf collégiens dans le cadre des stages obligatoires de troisième — au programme, des rencontres avec les professionnels, des ateliers pratiques et des restitutions. Rébecca Chaillon et Jean-Baptiste Verquin sont aux commandes des modules pratiques, au sein desquels ces jeunes apprennent à s’exprimer en groupe, tout en s’appuyant sur leurs goûts et leurs sensibilités personnelles.
Ciblant plutôt les jeunes à la sortie du lycée, le dispositif #UneSaisonEnPartage, enfant chéri de Célie Pauthe né dès sa deuxième année à la tête du lieu, invite des jeunes issus des quartiers prioritaires de Besançon à assister aux spectacles gratuitement et à partager la vie de l’institution. Avant chaque représentation, dans les salles du théâtre, on discute du spectacle du soir — ce jour-là, Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodrigues — avant d’entamer une improvisation inspirée de la structure de la pièce. Dans le rôle des enquêteurs, une moitié de groupe pose des questions à ceux qui leur font face. « Pourquoi changer le monde ? », lance l’un d’eux. Chacun y va de sa réponse, puis les rôles s’échangent. Les suivants rejouent les monologues des précédents, entre concentration et grands éclats de rire.
Rester dans le giron
La comédienne Judith Morisseau donne cet atelier joyeusement, sur le mode du dialogue. C’est dans le même état d’esprit que les participants sont invités à animer, tout au long de l’année, des bords de scène publics, accompagnés par Claire Simonnet, chargée des relations avec les publics en service civique. École de spectateurs, école de jeu, cette immersion régulière dans la vie du théâtre aboutit à un passage sur les planches. En février, pour cette septième édition, les jeunes metteurs en scène Fanny Holland et Prince Barry dirigeaient au plateau cette troupe pleine d’envie.
Ces premiers pas répondent à une envie des jeunes de côtoyer l’institution de l’intérieur, de toucher au « vrai » théâtre, ses structures et son prestige. Les participants à cette « saison en partage » ont entre 17 et 27 ans. Cette gradation des tranches d’âge à travers les différents dispositifs offre à ces jeunes un moyen de rester dans le giron du CDN une fois passées les options proposées durant le secondaire. Réunissant des jeunes à l’entrée de l’adolescence jusqu’à l’âge adulte, ces initiatives sont la preuve qu’un effort coordonné et articulé en faveur d’une ouverture du théâtre à ceux qui en sont éloignés est possible. Il ne reste qu’à déceler, au sein de ces jeunes interlocuteurs, la relève susceptible de poursuivre ces chemins, et continuer, à tous les niveaux, à leur en offrir la possibilité.
Samuel Gleyze-Esteban, envoyé spécial à Besançon
CDN Besançon Franche-Comté
Avenue Edouard Droz
Esplanade Jean-Luc Lagarce
25000 Besançon
Crédit photos © CDN Besançon © Ishaq Ali Anis