Molière, c’est le patron ! C’est également ainsi que l’on surnommait Louis Jouvet. Il était donc normal d’associé ces deux grands noms. Jouvet connaissait son Molière sur le bout de la langue. C’est-à-dire qu’il maîtrisait à la perfection son théâtre. Professeur au Conservatoire d’Art dramatique, il enseigna aux élèves l’art du comédien. A ce sujet, on ne peut que vivement conseiller ces ouvrages : Ecoute, mon ami, Le comédien désincarné et Témoignages sur le théâtre (éditions Flammarion). Et nous n’oublierons pas de mentionner le spectacle de Brigitte Jaques-Wajeman, Elvire Jouvet 40, que l’on trouve en vidéo. On y découvre Jouvet expliquant à ses élèves comment travailler le Dom Juan. On ne sera jamais Alceste, conçu par Elisa Guez, s’inscrit dans la même démarche, sauf que là, c’est du Misanthrope qu’il est question, de la première scène entre Alceste et Philinte. Celle où l’atrabilaire montre sa colère du monde et où son raisonnable ami lui explique que l’on ne peut pas toujours dire ce que l’on pense.
Une brillante master classe
Lisa Guez et Alexandre Tran sont partis du premier chapitre de Molière et la comédie classique. Un ouvrage regroupant les réflexions de Jouvet sur l’interprétation, la diction, la respiration et, surtout, sur le comportement du comédien dans la pratique de son métier. Le montage qu’ils ont réalisé est magnifique. Rien d’un poncif dans cette leçon de théâtre. Et pas besoin d’être du métier pour en savourer chaque instant.
D’ailleurs, on suggère vivement à tous les apprentis comédiens et même à certains plus aguerris d’assister à ce spectacle. Le comédien n’ayant que son être comme instrument, il ne peut se reposer uniquement sur ses dons. Tel un artisan, il doit revenir sans cesse à l’ouvrage pour en tirer le meilleur. Il doit écouter ce qui est dit dans le texte, comprendre, ressentir, chercher en lui-même, tout ce qui fera matière à faire entendre la parole de l’auteur, du poète, et les sentiments de son personnage.
Entrée des artistes
Deux élèves entrent sur le plateau et se préparent. Ils sont désinvoltes, peu concentrés mais assurés de maîtriser totalement la scène qu’ils vont jouer devant leur professeur. Celui-ci arrive dans la salle. Il s’adressant aux spectateurs. Et voilà que nous faisons partie intégrante du spectacle, en devenant les élèves du cours, ceux qui vont regarder leurs camarades passer leur scène. Il faut savoir que dans l’enseignement de l’art dramatique, il n’y a pas que sur le plateau que l’on apprend. Assis sur son banc, on s’enrichit tout autant en regardant les autres et en écoutant les directives du professeur. Nos deux apprentis commencent.
Le trait est forcé mais cela permet de comprendre les premières corrections données par le professeur et d’entrer sans problème dans l’exercice de style qui nous est proposé : la même scène qui, au fur et à mesure des indications, va prendre des sonorités différentes. Pour nous montrer également que chaque comédien est un instrument distinct des autres, les trois acteurs s’échangent les rôles du professeur et des élèves, d’Alceste et de Philinte. C’est passionnant à voir. D’autant que Lisa Guez a réglé ceci avec une fluidité telle que le seul tournis que nous ressentons est dû au bonheur.
Viens voir les comédiens
Pour jouer sans fausses notes une telle partition, il faut des virtuoses. La Comédie-Française n’en manque pas, certes, mais le choix de la distribution de ce spectacle est exceptionnel. Michel Vuillermoz (qui a depuis quitté le Français est remplacé par Dominique Parent), Gilles David et Didier Sandre sont éblouissants. Il faut les voir retrouver l’insouciance et les tourments de la jeunesse, prendre le ton professoral, bienveillant mais ferme, et surtout, les admirer lorsqu’ils passent d’Alceste à Philinte, montrant ainsi toute l’étendue de leur savoir-faire. Dans une unité de jeu, une fraternité de troupe, ces trois sociétaires du Français nous offrent un grand et beau moment de théâtre. Merci.
Marie-Céline Nivière
On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet (Editions Gallimard)
Studio Théâtre de la Comédie-Française
Galerie du Carrousel du Louvre
99 rue de Rivoli
75001 Paris
Création en mars 2022
Reprise du 21 novembre 2024 au 5 janvier 2025
Durée 1h
Adaptation de Lisa Guez et Alexandre Tran
Mise en scène de Lisa Guez
Dramaturgie d’Alexandre Tran
Avec Michel Vuillermoz (à la création), Gilles David, Didier Sandre, Dominique Parent (à la reprise)
Scénographie et lumières de Lila Meynard
Assistanat à la scénographie et aux costumes d’Auriane Robert de l’académie de la Comédie-Française