Un fil à la patte de Feydeau, dans la mise en scène formidable et inventive de Christophe Lidon, avait embelli l’été 2018 au théâtre Montparnasse. Ce spectacle aux couleurs jazzy des années 1950 revient au théâtre Hébertot égayer ce printemps qui en a bien besoin, pour notre plus grande joie. Rencontre avec l’épatant Jean-Pierre Michaël, qui incarne avec brio le personnage de Bois d’Enghien.
Alors, on se reprend Un fil à la patte ?
On peut même dire que l’on se reprend avec joie. C’était totalement inattendu ! Car la première session que nous avions jouée en 2018 au Théâtre Montparnasse appartenait à de l’histoire passée. Cela avait été une aventure spéciale, destinée à faire ce qu’on appelle les spectacles d’été. Je ne savais pas, alors, que c’était quelque chose qui existait. Pour moi, en tout cas à mon époque, la production théâtrale sur Paris s’arrêtait l’été. Aujourd’hui, il y a des spectacles faits pour les parisiens qui restent dans la capitale et les étrangers qui viennent à Paris l’été. Nous avions commencé fin mai pour finir fin août. Myriam de Colombi, qui dirigeait le théâtre, avait eu le culot de prendre ce spectacle qui n’avait pas de star, à part Catherine Jacob. Une fois le bouche-à-oreille parti, nous avons terminé avec des salles quasiment pleines. Ce qui est rare pour la période, surtout au mois d’août ! Donc pour moi, c’était de l’histoire ancienne. Ensuite j’ai fait La vie rêvée d’Helen Cox d’Antoine Rault, avec Christophe Lidon au La Bruyère, puis la Covid est arrivée et bim, plus rien… Au début de l’année, Christophe m’a appelé pour me parler de la reprise du spectacle. J’ai été totalement surpris, et en même temps, comme l’aventure avait été heureuse, j’étais super content. Et puis, cela tombait bien car je n’avais pas de tournage sur cette période !
C’est donc avec plaisir que vous retrouvez ce sacré personnage de Bois d’Enghien ?
Hyper heureux ! J’avais déjà joué du Feydeau, trois ou quatre. C’est un bonheur, ses personnages ! Je n’avais eu qu’une fois un rôle principal. C’était à la Comédie-Française, Etienne dans Occupe-toi d’Amélie, mis en scène par Planchon, avec Thierry Hancisse qui faisait l’alter ego. Historiquement, au Français, Le fil à la patte est un marqueur, avec la mise en scène de Charron, Robert Hirsch en Bouzin et Jean Piat en Bois d’Enghien. C’est donc quelque chose qui existait dans l’inconscient. J’étais toujours très curieux de cette pièce que je n’avais vue qu’en vidéo. J’ai donc été super heureux de m’attaquer à ce texte. Cela avait été chaud, car je n’avais eu, à l’époque, que trois semaines de répétition. Et, je vous l’assure, ce n’est pas un petit rôle !
Car à l’époque vous repreniez le rôle ?
Christophe Lidon avait créé la pièce au CADO d’Orléans, avec Yvan Le Bolloc’h. Ce dernier ne pouvant pas poursuivre, il a pensé à moi. Je me suis dit que c’était le moment ou jamais. Bois d’Enghien est un rôle iconique dans ce qu’il est, dans l’énergie qu’il demande. À aucun moment je ne me suis dit qu’il était fatigant, que j’en avais ras le bol, que cela m’usait, ou, pire, que ce n’était pas mon truc. Je me suis toujours régalé parce que ce personnage qui traverse la pièce, passe par tous les états — c’est une machine ! Je perds à peu près deux kilos de flotte par représentation ! J’éprouve un vrai bonheur ! Cela l’a toujours été pendant toutes les représentations. Et j’espère, mais j’en suis persuadé, que cela va l’être aussi pendant toute cette nouvelle série. Car les répétitions, qui sont ardues, pour remettre la machine en route, sont déjà heureuses !
Comme vous le dites, jouer du Feydeau, cela demande une sacrée énergie : il y a une musique, un rythme…
Et Lidon ne nous épargne rien ! Il a monté les marqueurs de l’énergie encore plus haut que sur un Feydeau à faux-cul, où il y a de la conversation, une certaine intellectualisation des propos. Ici, on est dans le dur, dans l’esprit Billy Wilder, dans l’énergie, dans le mouvement de la comédie. C’était sportif ! Donc avec quatre ans de plus pour moi, cela va le devenir encore plus ! Mais c’est toujours aussi génial. Une fois que l’on est entré dans la machine, c’est un véritable bonheur. Je sais que j’ai un long tunnel à traverser, car je ne sors quasiment pas de scène. Après presque deux heures de sport intellectuel, physique et émotionnel, je sors rincé.
Un Feydeau, c’est une partition qui se joue à plusieurs, dans laquelle la troupe a toute son importance…
C’est vraiment, pour le coup, un spectacle de troupe, encore plus que dans n’importe quelle pièce de théâtre. Au moment où c’est un spectacle qui doit parvenir au public, si tout n’est pas au même niveau, cela ne fonctionne pas. Ce travail de troupe est génial chez Feydeau, et c’est pour cette raison que c’est souvent une réussite au Français. Tout le monde doit être au diapason et au même niveau. Si vous avez un chat branlant à un moment, un truc qui ne va pas, un comédien qui est un peu en dessous, qui n’a pas la bonne énergie, qui n’est pas techniquement apte, tout s’écroule parce que plus rien ne tient dans l’énergie, dans le comique. Si tout le monde va dans le même sens, tout le monde s’enrichit et offre au spectacle, dans son ensemble, une vraie réussite.
Dans cette nouvelle production, il y a quelques changements de distribution qui doivent apporter un souffle nouveau ?
Absolument ! On est une dizaine de comédiens sur scène. Ce qui, soulignons-le, devient rare sur Paris ! Et surtout quatre ans après, retrouver sept comédiens sur la dizaine, tous libres au même moment et pouvant reprendre, c’est déjà un miracle ! Marc Fayet (qui joue au Montparnasse, Times Square), Cédric Colas (qui joue à l’Artistic, Un visiteur inattendu) et Adèle Bernier n’ont pas pu reprendre. Ils ont été remplacés par Sylvain Katan dans Bouzin, Emma Gamet dans Viviane et deux autres petits rôles, et Jeoffrey Bourdenet dans Firmin.
Alors, alors, le nouveau Bouzin, il est comment ? Car pas de Fil à la patte sans lui !
C’est le second rôle iconique de la pièce ! Le rôle casse-gueule par excellence parce qu’il faut se confronter à l’historique de ce personnage et des représentations qui en ont été faites ! Sylvain, que je ne connaissais pas avant, a une envie, une gourmandise de comique, de dépassement de soi, qui apportent quelque chose d’extraordinaire au personnage. Et ce n’est pas facile car les nouveaux ont peu de temps pour trouver leurs marques ! Nous, les anciens, on l’a déjà joué ! Ils ont dû arriver, texte su, pour pouvoir se glisser dans une mise en scène qui existait sans avoir à chercher autre chose. Rentrer dans des chaussons, comme on dit ! Sylvain, Emma et Jeoffrey doivent entrer dans l’énergie, dans cette histoire et dans cette troupe qui ont déjà un passé. Ce que je comprends, puisque moi-même je me suis retrouvé dans leur situation lorsque j’ai intégré la troupe. J’avais été magnifiquement accueilli et j’espère qu’ils ressentent le même sentiment. Ils sont bons et on a un réel plaisir à les découvrir et à vivre cette aventure avec eux !
Vous connaissez Christophe Lidon depuis longtemps, pourtant ce Fil est votre première collaboration scénique…
Cela doit bien faire trente-cing ans que l’on se connaît ! Nous avons été figurants ensemble au Français, avant que je ne sois engagé et qu’il ne commence à mettre en scène. Parce que j’étais à la Comédie-Française, que lui était avec sa compagnie, notre relation amicale ne s’était jamais concrétisée au niveau du travail. Nous nous sommes retrouvés par miracle sur ce Fil, après toutes ces années, comme si c’était la veille. Je l‘ai alors découvert dans le travail. Car même si j’ai vu, en spectateur, bon nombre de ses spectacles, je ne l’avais pas expérimenté dans la direction. Cela nous a permis ensuite de faire, au La Bruyère, Helen Cox, dix jours après la dernière du Fil au Montparnasse. On se retrouve là, avec bonheur, après cet épisode Covid, en espérant que d’autres réalisations puissent se concrétiser entre nous à un moment ou à un autre.
Vous avez évoqué Billy Wilder. Quand on connaît le travail de Lidon, ce spectacle surprend, car il nous amène à un endroit où on ne l’attendait pas…
C’est vrai qu’il est dans un registre moins gaudriole, moins basé sur l’humour premier degré. C’est pour ça d’ailleurs, parce que cela ne l’intéresse pas, qu’il n’a pas abordé la pièce comme un Feydeau classique. Il voulait la transposer dans quelque chose de plus moderne. Et Le Fil s’y prête très bien. Il a choisi les années 1950, les trente glorieuses. Cette période où, après la guerre, la légèreté reprend le dessus, où dans ce groupe d’amis qui sont des fêtards, l’esprit vif peut apparaître comme une sorte de bulle de champagne permanente. Cela fonctionne aussi dans les décors, les costumes. Ce côté jazz marche très bien ! Bois d’Enghien est noceur, tout comme Lucette Gautier. Ils vivent la nuit, ce sont des artistes entre guillemets ! Bois d’Enghien, qui sait qu’il va devoir se ranger auprès d’une petite qui a des sous, parce qu’il vieillit et que l’argent fond, se retrouve confronté à devoir composer avec la haute bourgeoisie. Lucette, c’est bien pour passer des nuits et s’amuser mais pas pour vivre avec. Elle-même va trouver un homme qui a de l’argent. C’est très immoral ! Mais en même temps, il y a cette liberté old school que l’on n’a plus aujourd’hui et que l’on retrouve avec plaisir !
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Un fil à la patte de Georges Feydeau
Théâtre Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris
Du 5 avril au 26 juin
Du mardi au samedi 21h, dimanche 15h, relâche les 1er et 11 mai
Durée 1h45
Mise en scène de Christophe Lidon
Avec Catherine Jacob, Jean-Pierre Michaël, Bernard Malaka, Jeoffrey Bourdenet, Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin, Noémie Elbaz, Emma Gamet, Sylvain Katan
Costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian
Lumières de Florent Barnaud
Musique de Cyril Giroux
Chorégraphie de Sophie Tellier
Vidéo de Léonard
Assistante à la mise en scène Valentine Galey
Crédit photos ©DR ©Jeep Stey