À La Colline-Théâtre national, Oriol Broggi et sa compagnie La Perla 29 s’inspirent de Huit et demi de Fellini et invitent à une plongée vertigineuse au cœur du processus créatif théâtral. Avec générosité, inventivité et gourmandise, le metteur en scène catalan signe un grand cri d’amour à l’art vivant. Quelle claque !
Une danseuse, un cheval, un saxo, des nonnes, des personnages pittoresques et picaresques traversent une scène recouverte de sable, insufflent à l’air ambiant des airs de farandoles, de fêtes et donnent corps, chair à une poétique et folle fresque. Avec rien ou presque, la compagnie barcelonaise la Perla 29 invite à un songe éveillé de toute beauté, une épopée kaléidoscopique où Dante fait la causette à Molière, Fellini confronte son esthétisme à Ridley Scott et Marcello Mastroianni s’amuse des facéties de Mickey.
Fellini en intraveineuse
Reprenant la trame du scénario d’Otto e mezzo – Huit et demi en français– du cinéaste italien pour la porter au plateau, Oriol Broggi et sa troupe suivent les errances de pensées d’un artiste dépressif, en mal d’inspiration. Tout comme Fellini, où Guido son double dans le long métrage, Enrico Ianniello arpente l’espace transformé en arène, en piste ou manège équestre. Assis à une table, traversant un tableau, rêvassant à d’autres horizons, l’homme part à la rencontre de sa voisine, une mère de six enfants dont le mari est plus connu au bordel qu’à son bureau, d’une comédienne aux faux airs de Claudia Cardinale, à qui il a promis un rôle dans son prochain film, d’artistes de tout bois tout droit sortis de ses souvenirs, de ses fantasmes.
Fresque vivante, tableaux vibrants
Faisant travailler l’imaginaire des spectateurs, Oriol Broggi travaille la matière théâtrale comme une peinture, une œuvre plastique qui n’est pas sans rappeler La Parade des humbles de Fernand Pelèz ou Le cirque de Georges Seurat. S’appuyant autant sur le néoréalisme cher à Fellini, le surréalisme de Buñuel, que sur des courants plus picturaux comme l’impressionnisme voire pointillisme, il fait de la scène une immense toile, qui se réinvente à chaque scène. Ainsi, de l’image en noir en blanc d’une Anna Magnani au désespoir à un Steeve McQueen sexy en diable, en passant par un funambule joueur de saxo, un band musical spécialiste de rumba, une écolière à vélo, une dompteuse de chevaux, le metteur en scène confronte les arts, les conjugue en un spectacle total.
Une troupe généreuse
Construit comme un cadavre exquis à partir de textes de Dante, de Shakespeare, de Pirandello, d’Ettore Scola, de Tchekhov et même du maître des lieux, Wajdi Mouawad, 28 i mig est une œuvre collective et collégiale qui mélange savoureusement les genres, les styles, les langues et les époques. Sorte de joyeux bordel parfaitement ciselé et orchestré par les doigts de magicien d’Oriol Broggi, cette ode au théâtre et à l’art sous toutes ses formes doit beaucoup aux talents multiples d’une distribution italo-espagnole explosive – Laura Aubert Blanch, Guillem Balart, Xavier Boada, Màrcia Cisteró, Enrico Ianniello, Blai Juanet Sanagustin, Clara Segura Crespo, Montse Vellvehí et Joan Garriga, Petete, Marc Serra. Tous excellents, ils s’en donnent à cœur joie et entraînent la salle dans une sarabande autant mélancolique qu’enchantée.
Conquis par autant d’humanité, de munificence, les spectateurs sortent le sourire aux lèvres, contents d’avoir vu du vrai et bon théâtre sans artifices superflus, juste les effets d’une machinerie scénique qui ne cherche pas l’esbroufe mais la sincérité. Une vraie gourmandise à savourer sans modération !
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
28 i mig d’Oriol Broggi – La Perla 29
spectacle en catalan et italien surtitré en français
Grand théâtre
La Colline -Théâtre national
5, Rue Malte-Brun
75020 Paris
Jusqu’au 10 avril 2022
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30
durée 2h15
conception et mise en scène d’Oriol Broggi assisté de Rita Molina i Vallicrosa
adaptation des textes Jeroni Rubió et Oriol Broggi
avec Laura Aubert Blanch, Guillem Balart, Xavier Boada, Màrcia Cisteró, Enrico Ianniello, Blai Juanet Sanagustin, Clara Segura Crespo, Montse Vellvehí et Joan Garriga, Petete, Marc Serra et un cheval
lumières de Pep Barcons
costumes de Berta Riera
son de Damien Bazin
vidéo de Francesc Isern
musique originale de Joan Garriga
maquillage et coiffure d’Àngels Salinas
confection des costumes – Elisabet Meoz
dressage du cheval – Equi-Event /Josep Maria Segú
traduction en français et régie des surtitres – Alba Pagán
montage des sous-titres – Ester Nadal
Crédit photos © Tuong-vi Nguyen