Après la Vie et mort d’un chien traduit du danois par Niels Nielsen, retour au Théâtre de la Tempête du très talentueux Jean Bechetoille, avec son spectacle Rest and Watch, qui nous projette avec un humour subversif dans le monde d’après la pandémie. C’est intelligent et réjouissant.
Nous avons découvert ce spectacle en janvier 2022 à la Maison du Théâtre d’Amiens dans le cadre du Festival Amiens Europe. C’était tout frais, comme le temps dehors ! Si nous avons essuyé quelques problèmes techniques, qui ont fait que certaines vidéos n’ont pas été projetées, cela n’a rien entravé à la bonne marche et compréhension de ce spectacle dense et captivant. Notre première réaction a été de nous dire qu’enfin, la création théâtrale s’emparait de cette période du premier confinement pour s’interroger sur le monde d’après.
Lorsque l’enfant paraît
2020, la Compagnie du 1er août attend des enfants. Jean Bechetoille et sa compagne Hélène Marchand, et deux autres membres de la troupe, Jacinthe Cappello et son compagnon le musicien Guillaume Bosson, vont être parents. Ce qui donne l’idée de base à Bechetoille, qui puise toujours son inspiration dans son vécu, d’en faire une petite forme, sorte de cérémonie prénatale, qui s’intitule tout simplement : Du potentiel artistique insoupçonné de la femme enceinte sublimé et toutefois limité par le fait que la femme enceinte accouche au bout de neuf mois. Elle ne se jouera que trois fois. Mars 2020, le confinement est instauré au moment où les deux gamins choisissent de venir au monde. Et chacune des familles est partie se réfugier au grand air. Bechetoille, qui ne manque pas d’imagination, à profiter de ce temps mort pour pousser plus loin l’aventure, en se demandant dans quel monde ces petits nourrissons allaient vivre ! Voilà comment est né l’idée de Rest and Watch, en français : repose toi et regarde.
La communauté en délire
Cette histoire particulière se déroule entre 2020 et 2055, en passant par les années 2039 ! Jean (Philippe Le Gall) et Hélène (Hélène Marchand) s’apprêtent donc à être parent et se demandent pourquoi le prix de la poussette n’est pas le même que celui d’un cercueil ! On a les interrogations que l’on peut et celle-ci est d’une force comique certaine. Le confinement est déclaré, Jacinthe (Jacinthe Cappello), qui vient de perdre son mari dans un étrange accident de voiture, les rejoint. Ils s’installent en Bourgogne, emportant, malgré eux, le fantôme du défunt. Et ils décident de ne plus en ressortir. Se suffisant à eux-mêmes, ils s’approprient le fameux droit à la paresse. Les garçons, Aliocha (Thomas Bleton) et Serge (Guarani Feitosa) ont grandi dans ce huis clos imposés par leurs chers parents. 2039, ils ont 18 ans ! Leur jeu est de créer des pièces de théâtre, comme leurs parents avant. Mais, ils n’ont pas de public ! Leur rêve, connaître la femme ! Mais à part leurs mères, il n’y en a pas. L’un veut découvrir le monde extérieur, l’autre rester là où il a grandi. Dehors, la catastrophe climatique a chamboulé la marche du temps et des hommes. Et en 2055, que se passe-t-il ? Vous le saurez en allant voir la pièce, qui ne manque jamais de nous surprendre.
Buvons à la vie qui reste et s’enfuit !
Les thèmes abordés sont vastes et résonnent en échos à nos propres interrogations. Peut-on vivre en autarcie ? Qu’est-ce que le vivre ensemble ? Comment sortir de l’enfance lorsque l’avenir demeure un inconnu menaçant ? On fait comment avec l’héritage que nous ont légué les parents ? Que faire face aux menaces des dangers climatiques et sanitaires ? Comment panser les blessures de notre monde et le réinventer ? Surtout lorsque la solution de la communauté montre ses limites. Et sans un public devant qui jouer, à quoi sert le théâtre ? Jean Bechetoille aborde la vie, celle que nous vivons et celles que nous subissons, avec une plume des plus réjouissantes. C’est vif, nerveux et rempli d’humour. Sa mise en scène est du même acabit, pas un temps mort, que du rythme. Rien ne surcharge le plateau, les lumières installent l’air du temps et les vidéos celle du passé. Les comédiens, dans une unité de jeu parfaite, nous entraînent, sans jamais nous perdre, dans cette fable familiale et musicale formidable.
Marie-Céline Nivière
Rest and Watch, texte et mise en scène Jean Bechetoille
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champs-de-Manœuvre
75012 Paris
Du 10 au 27 mars 2022
Du mardi au samedi à 20h30, dimanche à 16h30
Théâtre d’Auxerre – Scène conventionnée (89)
Le 12 mai 2022 à 20h30
Durée 2h
Musique de Guillaume Bosson
Avec Thomas Bleton, Jacinthe Cappello, Guarani Feitosa, Philippe Le Gall et Hélène Marchand
Scénographie de Caroline Frachet
Lumières de Vera Martins
Vidéo d’Adrien Selbert
Costumes de Léa Forest
Crédit photos © Caroline Frachet
