Après la Comédie de Genève et avant une longue tournée européenne, Tiago Rodrigues explore, au TNB, les limites de l’impossible, ces territoires en guerre, où seule une poignée d’humanitaires luttent au quotidien pour que continue à briller une lueur d’humanité. Se nourrissant d’entretiens avec des travailleurs d’ONG, le metteur en scène portugais convoque aux plateaux ces femmes, ces hommes qui consacrent leur vie aux autres. Cruelle et bouleversante réalité !
Habillés comme vous, comme moi, quatre individus, tout ce qu’il y a de plus banals, de plus normaux, s’avancent sur le bord de la scène, à la limite du quatrième mur, juste devant une immense bâche crème qui rappelle autant un paysage de montagnes, qu’une tente de bédouins. Ils font face au public, dardent leur regard dans le nôtre, sans jugement particulier, semblent attendre quelque chose de notre part, comme si nous les avions invités à discuter avec nous, à nous raconter leur histoire. Se glissant dans la peau d’humanitaires, les quatre comédiens s’adressent au public comme si nous n’’étions qu’une seule et même personne, un intervieweur venu recceuillir leur propos, leurs histoires.
Entre fantasme d’aventures et crue réalité
Être humanitaire, qu’est-ce que cela signifie ? Difficile de répondre à brûle pourpoint. Pour nous, habitants du possible, là où la vie coule plutôt douce, où on peut se doucher, se laver les cheveux, inconscients de ce qui se passe dans le reste du monde, on associe facilement les travailleurs d’ONG à des héros, des êtres surhumains acceptant de prendre des risques énormes pour aider leur prochain vivant dans l’autre partie du monde, celle de l’impossible. Il y a quelque chose, de l’ordre du glamour, du sexy, de l’aventurier. La réalité est tout autre, plus violente, plus tragique. Confrontés au chaos, à l’indicible, à la mort, ils luttent tous les jours pour presque rien, pour presque tout, prolonger de quelques heures la vie d’un enfant, trouver des ressources pour palier la misère, la famine. Ils exposent leur vie pour d’autres, pour des guerres lointaines, étrangères, pour des maladies inconnues dans le possible, meurtrières dans l’impossible.
Mise en abyme de deux mondes
S’emparant des récits de vie de travailleurs de MSF ou de la Croix-Rouge, Tiago Rodrigues ne cherche pas à faire du sensationnel, de l’extraordinaire, mais juste à montrer une autre réalité, ce qui se cache derrière nos œillères, ce que l’on refuse de regarder en face. Légères, noires, glaçantes, les histoires fragmentées s’invitent au plateau, l’envahissent, jusqu’à la limite du soutenable. Bien sûr, quand on côtoie l’une de ces femmes, qu’elles s’appellent Marie, Flo ou Mathilde, l’un de ces hommes, qu’ils se nomment Buddy ou Léandro, on voit le monde autrement. On appréhende la vie différemment. On s’inquiète, on se demande pourquoi ? Mais en quelques mots, les leurs, on n’est pas rassuré, juste convaincu de leur foi, de leur motivation, de leur moteur. Et à travers, ce spectacle documentaire, ce long entretien tissé au fil des témoignages, c’est un peu de cela, de cette flamme, que laisse transparaître le metteur en scène portugais.
Une troupe habitée
Accompagnés par la musique jouée en direct par Gabriel Ferrandini, virtuose des percussions, qui souligne ainsi par des pulsions rythmiques l’intensité des paroles prononcées, Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble et Natacha Koutchoumov, tous impressionnantsde justesse, donnent vie avec fureur, fougue et vibrance à ces naecdotes, ces instants de vie. Sans bouger de nos sièges, on part vers le Mali, le Rwanda ou Haïti. Aucun pays n’est nommé. C’est un choix de Tiago Rodrigues afin de dépasser le réel, de ne rien ancrer ni dans le temps, ni dans l’espace, de laisser l’infime potentialité que le possible puisse basculer du jour au lendemain dans l’impossible.
Tétris textuel
Passant du rire aux larmes, de l’angoisse au besoin vital de sexe ou d’alcool selon, seuls moyens pour évacuer stress, tension et peur, l’auteur et metteur en scène porte aux plateaux ces récits, les entrecroise, les entrechoque. L’effet est redoutable. Il saisit ainsi notre attention toujours en alerte, attrape notre concentration ; retient notre souffle jusqu’à l’acmé, un fado bouleversant chanté par l’incomparable Beatriz Brás. Un pur moment de grâce, d’émotion !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Rennes
Dans la mesure de l’impossible de Tiago Rodriguez
Création Comédie de Genève
TNB
Salle Serrault
1 rue Saint-Hélier
35040 Rennes
Jusqu’au 5 mars 2022
Tournée
les 10 et 11 mars 2022 à L’Équinoxe de Châteauroux
du 15 au 17 mars 2022 au CDN d’Orléans – Val de Loire
les 25 et 26 mars 2022 au TRP -La-Chaux-de-Fonds
du 29 au 31 mars 2022 au CDN de Besançon Franche-Comté
du 6 au 8 avril 2022 au ThéâtredelaCité – Toulouse
Du 12 au 14 avril 2022 à La Coursive – Scène nationale de La Rochelle
le 29 avril 2022 au Théâtre des Salins – Martigues
du 4 au 6 mai 2022 au Maillon à Strasbourg
du 11 au 14 mai au Théâtre du Nord – Lille
les 18 et 19 mai aux Scènes du Golfe – Vannes
Du 25 au 27 mai 2022 au Piccolo Teatro di Milano – Teatro d’Europa
Mise en scène de Tiago Rodrigues assisté de Lisa Como
Traduction de Thomas Resendes
Scénographie de Laurent Junod, Wendy Tukuoka, & Laura Fleury
Avec Adrien Barazzone, Beatriz Brás, Baptiste Coustenoble & Natacha Koutchoumov et le musicien Gabriel Ferrandini
Composition musicale de Gabriel Ferrandini
Lumières de Rui Monteiro
Son de Pedro Costa
Costumes et collaboration artistique de Magda Bizarro
Fabrication du décor – ateliers de la Comédie de Genève
Crédit photos © Magali Dougados