Après une création en novembre à la Filature, un petit tour par les Célestins en janvier, et avant de partir pour Cherbourg, Reims et Angers, le Munstrum théâtre a posé ses valises en ce début février au Monfort Théâtre. Après s’être attaqué avec audace aux univers de Copi et de Mayenburg, Lionel Lingelser et Louis Arene passent au cran supérieur et proposent un conte dystopique et kafkaïen de leur cru. Attention les yeux, ça décoiffe !
Il y a des artistes, pour lesquels on sait que chaque spectacle est une expérience. Lionel Lingesler et Louis Arene, à la tête du Munstrum théâtre, font clairement partie de cette race. Qu’ils explorent leurs propres fantômes dans Les possédés d’Illfurth, les étranges nuits entre chien et loup de Marius von Mayenburg ou les délirantes fables de Copi, ils se glissent dans les textes, se nourrissent des mots, aspirent l’essence des œuvres pour en donner une lecture déjantée, folle, granguignolesque. Sans jamais dénaturer le propos, ils le réinventent, le cisèlent et se l’approprient avec ingéniosité et fantasmagorie. Fort de ses expériences, avec la complicité du dramaturge Kevin Keiss, le duo se lance pour la première fois dans l’écriture. C’est tout simplement jubilatoire !
Le monde de demain
Les hommes ne sont plus que les ombres d’eux-mêmes, à peine plus que des robots, c’est dire. Petits gnomes sans cheveux, malingres, ils ont cédé la place à de bien étranges créatures, des hybrides surévolués, des animaux humanisés. Femme à tête d’éléphant, fille panthère, homme singe ou garçon cochon ont pris le contrôle, sont devenus les maîtres d’une société très hiérarchisée, qui vit au rythme de sondages qui décident des grandes lignes politiques en prenant le pouls du monde à tout moment. Employé d’une multinationale qui gère les sondages, Zypher aimerait bien faire changer les choses, montrer qu’il est possible de mettre en place un système plus fiable, plus représentatif des véritables aspirations de la population. Trop chétif, il n’ose pas se lancer, a peur de contrarier ses patrons, d’être encore plus sous pression.
Double maléfique
De plus en plus anxieux, angoissé, Zypher développe une étrange maladie. Une nuit, juste après le suicide d’un de ses congénères, il se dédouble, un corps étranger, s’extrait de son dos. Plus charismatique, plus audacieux, plus lumineux, Z. devient la coqueluche de l’entreprise. En un rien de temps, il grimpe les échelons, devient à coup de flatterie, de manipulation au sommet. Mais dans quel but ? est-il réel ? est-il un double fantasmé ? À chacun de se faire son idée.
Dystopie à faire peur
Explorant tout ce qu’il est possible de faire avec des masques, des prothèses, des effets artisanaux, le duo Louis Arene et Lionel Lingelser n’a pas son pareil pour plonger le public dans des univers noirs, féeriques, dingues, granguignolesques. Cette fois, armés uniquement de leurs plumes, les deux artistes se hissent encore un peu plus loin dans leur folle et talentueuse ascension vers les sommets d’un art vivant multiple et pluridisciplinaire. On atteint avec Zypher Z. une certaine démesure à la Mel Brooks, côté humour noir, à la Kafka, côté conte horrifique. Immergeant le public dans un univers déjanté jusqu’au vertige, ils signent un spectacle total délirant autant qu’inquiétant.
Des talents à la pelle
Au-delà d’une inventivité sans limites, d’un talent détonnant, la grande force du Munstrum est la bande de comédiens– détonnante Sophie Botte, ineffable Delphine Cottu, épatant Alexandre Éthève et le petit nouveau, le circassion Erwan Tarlet -, d’artistes et de techniciens – Kevin Keiss, Yotam Peled, Mathieu Lorry-Dupuy, Valentin Paul, Victor Arancio et Ludovic Enderlen, etc. – qui gravitent autour. Et une nouvelle fois, ils font corps autour de l’extraordinaire Louis Arene et le lumineux Lionel Lingelser et donnent à cette nouvelle création, toute sa puissance ovniesque et réjouissante. Poussant jusqu’au grand n’importe quoi, jusqu’à l’outrance, les dérives du monde moderne – pollution, montée des populismes, replis sur soi, ils pourfendent avec audace et extravagance pudibonderie, esprit étriqué et préceptes nauséabonds.
Par-delà les limites
Entremêlant dans un pastiche de comédie musicale, de cabaret underground pour exclus de la société – ici, les robots – , la voix d’or de Judith Chemla, la gouaille de Muriel Robin et le phrasé si singulier de Duras, le Munstrum théâtre invente un ailleurs théâtral, repousse les limites de l’art dramatique pour mieux en révéler la force réflective. Entre ténèbres et lumières, les solaires et exigeants artistes ont encore une fois monté la barre d’un cran. Zypher Z. est une gourmandise amère autant acidulée, qu’il est bon de dévorer, de déguster. Du pur bonheur !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Zypher Z. Une création originale du Munstrum Théâtre
Création en novembre 2021 à la Filature de Mulhouse
Monfort Théâtre
106 rue Brancion
75015 Paris
Jusqu’au 19 février 2022
Durée estimée 2h00
Tournée
Les 1er et 2 Mars 2022 au Trident, Scène nationale De Cherbourg-en Cotentin (50)
Du 15 au 19 Mars 2022 au Quai, CDN d’Angers – Pays De Loire (49)
Les 25 Et 26 Mars 2022 au Théâtre de Chatillon (Festival Marto) (92)
du 4 Mai 2022 au Manège, Scène nationale – Reims (51) (En Partenariat Avec La Comédie de Reims – CDN)
conception de Louis Arene, Lionel Lingelser & Kevin Keiss
mise en scène de Louis Arene
texte de Kevin Keiss & Louis Arene asssité de Maëliss Le Bricon
avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Alexandre Éthève, Lionel Lingelser, Erwan Tarlet et la voix de Judith Chemla
marionnettes de Carole Allemand, Louise Digard, Sébastien Puech
lumières de Jérémie Papin en collaboration avec Victor Arancio
costumes de Colombe Lauriot Prévost assistée d’Eloïse Pons
son & musique originale de Jean Thévenin assisté de Ludovic Enderlen
masques de Louis Arene, Louise Digard & Carole Allemand
scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy
chorégraphie d’Yotam Peled
régie générale & plateau – Valentin Paul
accessoires & régie son – Ludovic Enderlen
régie lumière – Victor Arancio
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez