À l’occasion des commémorations des 400 ans de son patron, la Comédie-Française présente au Studio théâtre le texte magnifique de Giovanni Macchia, Le silence de Molière, qui donne la parole à sa fille. Mise en scène par Anne Kessler, la pensionnaire Danièle Lebrun y irradie de tout son immense talent.
Danièle Lebrun appartient à la race des grandes Dames du théâtre, chacune de ses apparitions est un réel bonheur. Elle possède un instrument, sa voix qui lui permet de jouer sur toutes les cordes des émotions. Elle a le sens inné des ruptures et des césures. Une intonation, un geste, un regard, tout lui sert pour faire passer les mots des auteurs et les sentiments qui s’y rattachent. Elle transcende un texte. Celui de Giovanni Macchia était fait pour elle.
Fille de…
Molière a eu des enfants avec la belle Armande Béjart, trois sont morts en bas âge, une fille a grandi. D’Esprit-Madeleine, son prénom, nous n’en savons pas grand-chose, tant sa vie ne fut que discrétion. Elle a servi de modèle pour le rôle de Louison dans Le malade imaginaire. Cette enfant appelle son père, Mon petit papa chéri ! L’auteur italien, qui connaît bien le théâtre et son histoire, a eu le champ libre pour convoquer le souvenir de cette illustre inconnue et lui offrir enfin la parole.
Les mémoires d’une discrète
C’est une vieille dame qui vient évoquer ses souvenirs. A l’origine, elle répondait à un journaliste mais Anne Kessler a préféré imaginer qu’elle répondait à des questions lors d’une conférence. L’idée est fort bonne. Ainsi Esprit-Madeleine se dévoile devant un public et doit y faire face. Il ne lui est pas aisé de se découvrir car la pudeur et la discrétion sont les deux principes de sa vie. Au fil des questions, elle se souvient de son enfance, de sa famille, de son père et de sa mort, de sa mère et de ses frasques. Elle évoque ces animaux bizarres que sont les comédiens et les raisons qui ont fait qu’elle n’a pas suivi les pas de son illustre famille. Tout cela est narré comme si elle était encore la petite fille regardant tout ce qui l’entoure avec étonnement.
Le couvent comme abri
Puis vient la question, pourquoi s’est-elle enfermée dans ce couvent, sans toutefois porter le voile ? Pourquoi a-t-elle fui le monde ? Que pouvait-elle faire d’autre, lorsque adolescente, la rumeur enfla dans Paris, dévoilant un soi-disant secret de famille, qui depuis on le sait serait faux ? Elle n’a su que répondre à cela ! Est-ce facile de s’entendre dire que l’on est le fruit d’un inceste ! Elle a douté, parce que rien ne lui permettait de crier l’infamie, et a préféré le silence à la révolte. Elle, qui aimait les héroïnes raciniennes, ne saura pas défendre son père. Et elle le regrette.
Danièle Lebrun en majesté
Installée dans un écrin noir où seul un miroir reflète son image, assise sur un banc, dans sa magnifique robe sobre, perruque sublime sur la tête, dans une immobilité totale, Danièle Lebrun donne du corps et de l’esprit à ce personnage délicat et extrêmement touchant. C’est une leçon de vie que l’on entend mais également une biographie de Molière, une retranscription d’une époque et même d’un quartier. Un ravissement !
Marie-Céline Nivière
Singulus – Le silence de Molière de Giovanni Macchia
Studio-Théâtre de la Comédie-Française
99 rue de Rivoli, Galerie du Carrousel du Louvre 75001 Paris
Du 9 au 27 février
Du mercredi au dimanche à 20h30
Durée 1h
Traduction de Jean-Paul Manganaro et Camille Dumoulié
Avec Danièle Lebrun
Mise en scène d’Anne Kessler
Lumières d’Eric Dumas
Texte publié aux Éditions Desjonquères.
Crédit photos © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française