Festival Extra -Portrait de Rebecca Chaillon ©Herve Veronose

Rebecca Chaillon, une artiste engagée nommée désir

Au Carreau du Temple dans le cadre du festival Everybody, Rebecca Chaillot présente sa dernière création, Une Carte noire nommée désir.

Véritable phénomène, Rebecca Chaillon impose, depuis une dizaine d’années, un style, un regard, une autre vision du monde. À la tête de la compagnie Dans Le Ventre, elle imagine des spectacles engagés, où la parole et les corps des femmes nourrissent réflexion et écriture. Questionnant la représentation de la femme noire en occident dans sa dernière création, Une Carte noire nommée désir, la performeuse pose ses valises au Carreau du temple dans le cadre du festival Everybody. Rencontre avec une artiste démesurée. 

Autoportrait - Rebecca Chaillon © Florence Chantriaux

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Le concert de Dorothée et des Musclés, à Bercy en 1990, j’avais 5 ans, j’étais avec mon père. Je pense qu’il aurait préféré m’emmener voir Kassav’, mais bon c’est d’abord mon côté rock qui a primé à l’époque. J’aime l’intensité et la préciosité des concerts. Y a aussi le carnaval du 14 juillet dans l’Oise en maternelle, où je me suis inventée un énorme souvenir (je n’ai aucune mémoire) autour d’une photo de moi en bleu blanc rouge, au milieu des petits enfants blanc.he.s.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Je dirais qu’il n’y a pas eu de gros déclencheur, j’ai toujours joué. Mon grand frère Dimitri m’avouait, il y a peu, que petite, je racontais tout le temps des histoires incroyables à tout le monde et que j’essayais toujours de partir avec ma valise. (Le début des tournées, sans doute !). J’ai fait toutes mes activités théâtrales adolescente, parfois à raison de 12h par semaine, j’ai fait la fac d’art du spectacle et le conservatoire sans réfléchir, puisque je ne me suis jamais projetée dans ce métier. Moi, je me voyais prof d’anglais, de latin ou de théâtre…quand j’ai été recrutée à 19 ans à la fac par Bernard Grosjean, dans la compagnie de débat théâtral Entrées de Jeu, j’ai pris conscience qu’il y avait écrit « artiste dramatique » sur mon salaire. J’ai mis du temps à assumer. 
Ah si, un déclencheur, c’est sans doute la télé…j’en ai été gavée.

Carte noire nommée désir - Rebecca Chaillon© Marikel Lahana

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être – metteuse en scène, performeuse et autrice ? 
Je débordais de raconter des histoires, nourries de pop, de sitcoms, de girls bands, de Walt Disney et de mangas, mais aussi de littérature de gamines oppressées genre Comtesse de Ségur, de « Chair de Poule », de « Trilogie du Samedi » et du M6 érotique du dimanche soir. Plus sérieusement, le manque de rapport au corps dans l’apprentissage au conservatoire, la sensation que personne ne m’invitait à jouer parce que je ne rentrais dans les rôles qu’aux forceps, les cours de la fac où je trouvais les choses trop frontales et unidirectionnelles, sclérosées blanches intelloes. 
Heureusement le cours de Bénédicte Boisson, où nous allions voir des spectacles m’a sauvé, et les CÉMEA à Avignon aussi.La pratique, le jeu, le non-jugement sur les acquis théoriques et la culture gé, ça m’a émancipé de chercher sans vouloir avoir la bonne réponse.
La découverte de Rodrigo Garcia, de Roméo Castellucci, d’Angelica Liddell et de Marina Abramovic ont été salvatrices et ont infusé dans mon besoin de passer à l’action.

Quel est le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Ce n’est pas vraiment le premier spectacle, mais le Théâtre du Goupil, à Beauvais, dirigé par ce couple extraordinaire Anne-Marie et Bernard Boibessot, où j’y suis de mes 12 à 22 ans en finissant avec les clés de la salle municipale à pouvoir organiser mon premier festival avec des artistes burkinabés. Ces dix ans-là sont l’expérience théâtrale la plus puissante. On m’a donné la possibilité de jouer Ulysse, Oreste, Gorgibus, Caliban, sans jamais « bloquer » sur mon genre ou ma race. On m’a amené découvrir à Sartrouville, le spectacle politique et documentaire Rwanda 94, et à la Cartoucherie de Vincennes Tambours sur la Digue et ses comédien.ne.s qui se maquillent de longues heures durant, et puis Peter Brook aux Bouffes du Nord. On m’a appris un théâtre collectif exigeant et urgent très tôt.

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Un peu de tendresse bordel de merde de Dave St Pierre au Cloitre des Célestins en 2009, je voudrais revivre ce moment encore.

Carte noire nommée désir - Rebecca Chaillon © Vincent Zobler

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
La rencontre avec le maquillage et par ce biais avec l’histoire de l’art. C’est par la rencontre avec Florence Chantriaux, dans son atelier « Masques peints », que je découvre un art sacré, et aussi une pratique ludique de l’auto-maquillage. J’y passe 4h par semaine pendant dix ans, à créer des personnages, des tableaux sur mon visage, et à acquérir un savoir par la pratique. J’apprends l’histoire de l’art, de la photographie, des traditions masquées et théâtrales du monde, sans jamais complexer. Ça m’amène à une formation pro en maquillage effets spéciaux à Make up Forever, qui est comme plein de formation maquillage trop hétéro-blanco-normative, mais ça m’a permis de faire un mix entre ces savoirs et de les utiliser. Sinon la rencontre avec ma psy,  avec l’artiste Céline Champinot et son génie créatif. La rencontre avec L’œil Écoute, notre bureau de prod avec qui on tente de réfléchir le monde et le spectacle vivant. Mon amoureuse Sandra Calderan et son travail théâtral militant et hors institution qui ne me laisse jamais tranquille. Les personnes avec qui j’ai créé mon esthétique et mes valeurs : Margault Chavaroche, Élisa Monteil, Aurore Déon, Rodrigo Garcia et les artistes de ce fameux chantier nomade en 2010… La re-rencontre avec ma mère qui fait un gros travail pour suivre mon parcours poético-politique.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Non, heureusement, mon métier sert à me déséquilibrer.Grâce à lui, je suis sans cesse en train de me prendre la tête, de faire des rencontres qui m’agitent, de m’agiter sur ma responsabilité face au monde, grâce à lui, j’ai le temps de m’inquiéter et de penser le monde à plusieurs, alors que j’adorerais faire comme si de rien n’était. L’horreur d’être équilibrée, je suis scorpionne, je le rappelle.

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Mon rapport à la foi, et mon rapport à mon foie.Mon rapport à ma peau, et mon rapport à tout ce pot que j’ai depuis le début, que j’interroge fort dans cette société mauvaise. Cette société mauvaise que j’expire plus qu’elle ne m’inspire.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
Doux et douloureux, sacré et un peu sacrificiel. 

Carte noire nommée désir - Rebecca Chaillon © Vincent Zobler © Sophie Madigand

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Dans le Ventre pardi !Faut que ça soit tripal. J’ai toujours « vachement » souffert d’aller sur scène et de travailler à mes spectacles, donc faut que les rencontres que le spectacle permet soient constamment à la hauteur. J’aime sortir d’un spectacle et que mon ventre/le cerveau de mes émotions soit retourné, que je sois en scène ou en spectatrice.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Des artistes qui ne savent pas encore qu’iels ont le droit de prendre cette place.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
Une refonte du système du spectacle et de son économie moribonde, un déséquilibrage des personnes qui croient avoir le pouvoir, une redéfinition du mot « théâtre » où primerait  « le jeu », et où il y aurait plus de places pour tous les récits et tous les corps sans instrumentalisation ni effet de mode. 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Zami, d’Audre Lorde.
Une biomythographie, une enquête de soi, des amours lesbiennes, de l’antiracisme, et de la pulsion d’écrire…

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, Cie dans le ventre
création en novembre à la Manufacture – CDN de Nancy

Tournée 
les 21 et 22 février 2022 au Carreau du Temple dans le cadre du festival Everybody à Paris (75)
le 25 février 2022 à (59) au Phénix – Scène Nationale, Valenciennes dans le cadre du Festival Cabaret des Curiosités
le 1er mars 2022 à la Scène nationale d’Orléans
du 9 au 11 mars 2022 aux Subs à Lyon 
le 24 mars 2022 à la Maison de la Culture d’Amiens
les 22 et 23 avril 2022 au Tropique Atrium, scène nationale de la Martinique.

Texte et mise en scène de Rébecca Chaillon assistée Olivia Mabounga et Jojo Armaing
Avec Bebe Melkor-Kadior, Estelle Borel, Rébecca Chaillon, Aurore Déon, Maëva Husband en alternance avec Olivia Mabounga, Ophélie Mac, Makeda Monnet, Fatou Siby
Dramaturgie de Céline Champinot
Scénographie de Camille Riquier et Shehrazad Dermé
Création & régie sonore d’Elisa Monteil et Issa Gouchène
Régie générale & plateau Suzanne Péchenart 
Création & régie lumière Myriam Adjalle
Construction Samuel Chenier et Baptiste Odet
Collaborations artistiques Aurore Déon, Suzanne Péchenart 
Production / Développement L’Oeil Ecoute – Mara Teboul & Elise Bernard

Crédit portrait © Hervé Veronose
Crédit photos © Florence Chantriaux, © Marikel Lahana, © Vincent Zobler et © Sophie Madigand

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