Salomé Broussky © julien Vallon

Salomé Broussky, metteuse en scène de l’intime

Aux Déchargeurs, deux ans après avoir présenté La Révolte de Villiers d’Adam, Salomé Broussky monte le Pain dur de Paul Claudel.

Aux Déchargeurs, deux ans après avoir présenté La Révolte de Villiers d’Adam, Salomé Broussky monte le Pain dur de Paul Claudel. Avec justesse, la metteuse en scène fait vibrer les mots du poète, leur donne, grâce notamment, à un effet scénique de gros plan, une dimension concrète, sans concession. Rencontre avec une artiste rare, humaine. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’embrasser la carrière artistique ? 

Le Pain dur de Paul Claudel - Mise en scène de Salomé Broussky © Christophe Raynaud de Lage

Salomé Broussky : Comme beaucoup, j’ai eu une professeure de français en sixième qui, en nous faisant étudier le Malade Imaginaire, m’a donné le virus du théâtre, qui ne m’a plus lâché. Ensuite ma vie personnelle a été jalonnée d’embûches diverses, plus ou moins importantes. Mais cette course de haies m’a donnée une obstination utile, me semble-t-il, pour cette activité. Faire de la mise en scène c’est transmettre la parole d’un poète, mettre les acteurs en avant et disparaître. Surtout ne jamais se croire plus malin que l’auteur, être à son écoute. C’est comme une partition de musique, il faut lire, lire, relire sans arrêt le texte, soudain le texte se « lève », il devient plus clair, il montre le chemin. Notre marge de manœuvre est dans l’interprétation, ce qui ne veut pas dire ne pas avoir une vision de l’œuvre. Cette notion de transmission est pour moi essentielle pour la raison suivante : étant issue d’une famille très simple, s’il n’y avait pas eu l’école de la République, jamais je n’aurais eu accès à cette culture-là. Aujourd’hui je dois « rendre » ce qu’on m’a offert et tenter d’ouvrir les portes que l’on m’a ouverte. C’est aussi pour cette raison que je veux une scénographie simple, souple qui peut s’adapter dans n’importe quelle salle. Le spectacle doit être mobile, itinérant. 

Pourquoi monter Claudel aujourd’hui ? 

Le Pain dur de Paul Claudel - Mise en scène de Salomé Broussky © Christophe Raynaud de Lage

Salomé Broussky : Sa vision des relations humaines, surtout dans Le Pain dur, est terriblement actuelle. Sa langue m’a toujours séduite car elle est à la fois terrienne et élevée, prosaïque et lyrique. Claudel, pour moi, est dans le prolongement de Racine et Marivaux : c’est un théâtre de l’âme. Ensuite Koltès a repris le flambeau d’une autre façon mais en restant dans cette famille si je peux dire. C’est toujours une approche du texte, du mot, de l’alliance des sonorités qui produit du sens et de la beauté. Ce n’est jamais psychologisant. Il faut se laisser emporter par le flot qui existe dans une économie paradoxale. C’est comme une fugue de Bach, le matériau semble simple mais l’agencement est infini, profond et complexe. On est porté à « aller plus haut. » Même si je ne suis pas croyante, un sens du sacré m’habite. La salle de théâtre est aussi une enceinte « sacrée » où un cérémonial particulier se déroule et est capable de modifier celui qui y pénètre, qu’il soit spectateur ou acteur, dans la salle et sur la scène. 

Le pain dur est une œuvre à part chez Claudel, en quoi est-elle pertinente dans le monde d’aujourd’hui ? 

Salomé Broussky : Le Pain Dur dépeint comment l’argent détruit toutes les relations interpersonnelles, piétine les « humanités » les pseudos idéaux, montre ce qui arrive dans un monde sans barrière, où tout est permis. Le capitalisme a mis KO tout sur son passage. C’est évidemment actuel mais surtout intemporel, le capitalisme n’étant qu’un avatar des métamorphoses du pouvoir de l’argent depuis le Veau d’or. 

Comment travaille-ton l’écriture si particulière de Claudel ? 

Le Pain dur de Paul Claudel - Mise en scène de Salomé Broussky © Christophe Raynaud de Lage

Salomé Broussky : En restant surtout concret, en ne se laissant jamais piéger par la poésie du texte. Claudel est un homme de la terre, un sensuel, qui n’est pas allé au bout de sa sensualité (voir Partage de Midi et les lettres à Rose Vetch). Le jeu doit rester dans le présent, ici et maintenant. Jamais lyrique d’une façon extérieure. Le texte est magnifique mais il ne faut pas jouer cette beauté au risque de devenir grandiloquent ; au contraire, il faut garder l’intimité, la vérité, se parler comme on le ferait dans la vie. Avec des silences, des hésitations et de l’humour, même si Claudel n’est pas connu pour son humour ! C’est aussi un travail musical avec des assonances, une construction avec des syllabes longues et brèves, des dentales et des fricatives etc. Rien qu’en prononçant le texte à voix haute en prenant appui sur sa structure musicale on voit se dessiner un chemin pour l’interprétation. Encore une fois, il s’agit d’être à l’écoute. 

Comment avez-vous choisi la distribution ?

Le Pain dur de Paul Claudel - Mise en scène de Salomé Broussky © Christophe Raynaud de Lage

Salomé BrousskySarah Jane Sauvegrain ayant été une magnifique interprète de la Révolte de Villiers de l’Isle-Adam que j’ai montée en 2019, je voulais continuer avec elle cette exploration sur les relations entre Argent et Sentiments. Elle campe une Sichel, douloureuse et implaccable. 
Daniel Martin s’est imposé dans Turelure par sa force « grotesque » et touchante. Acteur que j’avais vu jouer dans les mises en scène d’Antoine Vitez, notamment le Soulier de Satin, il souhaitait revenir à Claudel ; je lui en suis infiniment reconnaissante d’avoir accepté ma proposition et m’accorder cette confiance. Ensuite Marilou Aussilloux et Étienne Galharague nous ont rejoints pour Lumir et Louis. La modernité de leur jeu correspondait parfaitement aux personnages. 

Que représente les Déchargeurs pour vous ? 

Salomé Broussky : C’est un lieu qui m’a fait confiance. J’aime beaucoup le rapport scène-salle où l’on peut travailler sur la vérité du sentiment et sur l’intimité. L’exigence de la programmation rejoint aussi mes attentes de spectatrice.

Quels sont vos autres projets ? 

Salomé Broussky : Continuer…

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Le Pain dur de Paul Claudel
Les Déchargeurs
3 rue des déchargeurs
75001 Paris
Jusqu’au 26 février 2022
les mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 21H00 

Durée 1h40

Mise en scène, décor, costumes de Salomé Broussky
Lumières de Rémi Prin
Conception & construction du crucifix de Thierry Grand
avec Marilou Aussilloux, Etienne Galharague, Daniel Martin, Sarah Jane Sauvegrain

Crédit portrait © Julien Vallon
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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