À travers une belle épopée initiatique, Milena Csergo esquisse le portrait kaléidoscopique d’une jeune femme, de son enfance à l’âge adulte. Après avoir présenté début janvier cette fable humaine, féminine, au Théâtre 13, Milena Csergo investira en février, le Théâtre des Clochards célestes à Lyon. Rencontre avec une artiste à suivre…
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’embrasser la carrière d’artiste ?
Milena Csergo : Je crois que ça s’est fait par nécessité, car j’ai eu envie de faire du théâtre très tôt. Pour la petite histoire, une représentation de commedia dell’arte vue enfant, dans laquelle Pantalone pleurait en disant que personne ne l’aimait. J’ai bondi de ma chaise en criant « Si !!! Moi, je t’aime!! », il m’a pris dans ses bras en me donnant un bonbon et comme ça, un personnage magique avait débarqué dans la vraie vie…Et puis ensuite, cette nécessité s’est confirmée, pour un tas d’autres raisons.
Comédienne de formation, vous êtes aussi auteure de plusieurs pièces, comment avez-vous franchi le pas ?
Milena Csergo : J’ai une vraie passion pour les contes, que j’aime réécrire, réinterroger à l’aune du contemporain… À partir de cette matière, de mon désir de mettre sur le papier, mes réflexions, mes pensées, j’ai commencé à monter certains de mes textes, me frottant ainsi non seulement à l’écriture mais aussi à la mise en scène. En 2010, j’ai ainsi présenté Où le temps s’arrête et sans chaussure, une réinterprétation du héros de l’auteur écossais J. M. Barrie, Peter Pan, que j’ai créé alors que je travaillais encore au sein d’un collectif, qui s’est installé deux ans plus tard dans les Hauts-de-France. Après cette première aventure, j’ai obtenu plusieurs bourses d’écriture. Avec la publication, d’Isadora comme elle est belle et quand elle se promène, premier de mes textes à être édité, c’est une nouvelle étape qui s’est ouverte dans mon processus créatif, qui s’ouvre à moi. D’autant que c’est aussi le premier projet de ma nouvelle compagnie, Rose-quartz, que j’ai créée après ma scolarité au Conservatoire (CNSAD) et qui est destinée à monter uniquement mes propres textes et projets.
Comment avez-vous travaillé ?
Milena Csergo : D’abord en lecture avec les musiciens, séquence par séquence pour trouver les couleurs musicales et la texture des scènes. Ensuite j’ai beaucoup dessiné – des images, des rêveries, des espaces, des trajectoires de plateau, que j’ai eessayés sur scène, en retravaillant mes intentions premières avec la matière qu’ont apporté la scénographe, les musiciens, la costumière, la créatrice son, la créatrice lumière, et dans l’échange avec Maëlle Dequiedt, collaboratrice artistique du spectacle.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Milena Csergo : En général en écrivant, je ne comprends qu’après ce que j’ai voulu faire. Je dirais donc simplement, une réalité à un moment donné, qui s’est matérialisée dans l’écriture et la fiction. Des sensations confuses. Une nécessité mystérieuse.
Que racontez-vous dans Isadora ?
Milena Csergo : L’histoire d’Isadora, une jeune fille naïve, qui part chercher des framboises dans la ville pour la tarte que sa mère est en train de faire. Elle fait des expériences, parfois violentes et douloureuses, on comprend qu’elle n’est jamais vraiment sortie de chez elle, car elle y est enfermée par sa mère, avec son frère. Dehors elle découvre la sexualité, le désir, la cruauté, fait l’expérience de la liberté, et en même temps qu’elle traverse tout ça, elle se reconnaît, s’émancipe de tout un tas de choses. Elle se heurte à la société dans ses aspects absolument misogynes, mais aussi dans ce qu’elle a de limitant et violent pour tout homme, toute femme. Tour à tour enfant, jeune femme, femme, mère, je raconte sa transformation, son évolution. La pièce raconte aussi la façon dont l’expérience nous constitue malgré tout. J’espère aussi raconter, l’infini en chacun.e, la façon dont il faut lutter pour sa liberté. Le tout dans un monde complètement surréaliste, où les gens se mélangent avec des animaux, où une fontaine dans la rue devient la mer Baltique, où les temps et les espaces se distendent et où les couleurs se confondent.
Comment êtes-vous passé de l’écriture à l’adaptation scénique ?
Milena Csergo : J’ai tout écrit en amont. Je sépare en général le processus d’écriture et la mise en scène, ce sont même des choses contradictoires pour moi. J’avoue avoir une certaine jubilation à écrire des choses impossibles pour la scène, des défis à la réalité du plateau – qui n’a, et c’est ce qui est merveilleux, pas de limite – plus on pense que c’est impossible, plus les ressorts de la théâtralité se déploient, nous surprennent. Le travail de mise en scène et d’interprétation a donc été fait dans un deuxième temps en utilisant le texte comme une matière musicale et performative, il a été écrit dans cet état d’esprit d’ailleurs, très oral, très concret, agissant, en suivant le rythme de la respiration de l’interprète.
Vous êtes sur ce projet auteure, interprète, metteuse en scène, n’est-ce pas parfois schizophrénique ?
Milena Csergo : J’ai voulu mettre en scène « de l’intérieur », en partant de mes sensations d’actrice – puisque je travaille aussi beaucoup dans ce domaine et ai été formée en tant que comédienne – et sur la base d’images mentales. Comme la langue m’est familière, il était assez évident que je devais l’incarner. Je ne fais pas ça à chaque fois. Ici ces différentes expériences se sont nourries les unes les autres. Aussi parce qu’il y a un côté performance, show en direct, à tout ça – je suis au croisement d’un travail sur le texte, l’improvisation, le corps, la musique et la voix, dans un rapport frontal et direct au public, avec cette histoire que j’ai écrite et qui, d’une certaine manière, m’appartient.
Que peut-on vous souhaiter ?
Milena Csergo : Le meilleur…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Isadora comme elle est belle et quand elle se promène de Milena Csergo
Création au Nouveau Gare au Théâtre en octobre 2021
Tournée
Théâtre des clochards célestes à Lyon
3,4,5,6,7 février 2022 19h30 (samedi et dimanche 16h30)
Conception, mise en scène et interprétation de Milena Csergo
Collaboration artistique et regard extérieur de Maëlle Dequiedt
Création lumière d’Anne Vaglio
Création son et régie générale de Sarah Meunier
Composition et interprétation musicale live de Grégoire Letouvet et Alexandre Perrot
Scénographie de Marine Brosse
Costume d’Alix Descieux-Read
Crédit photos © Avril Dunoyer & © Christophe Raynaud de Lage