Au Théâtre Fontaine, après, Silence, on tourne, Patrick Haudecoeur et Gérald Sibleyras réunissent à nouveau leurs dons de fins trousseurs, pour nous concocter une comédie délirante, sur fond de fin de Guerre froide, Berlin, Berlin ! Un spectacle hilarant, mis en scène par José Paul et servi par une brochette de comédiens formidables.
© Richard Richebé
Pour faire un bon pastiche, il faut une bonne dose d’humour, un brin de respect, un soupçon de folie et arroser le tout de beaucoup de talent. Servi à bonne température le pastiche se consomme sans modération car il ne donnera qu’une ivresse, celle de rire aux éclats. Berlin, Berlin, la nouvelle pièce de l’ineffable Patrick Haudecoeur, coécrite avec Gérald Sibleyras, auteur tout aussi doué, est de cet acabit. Sur ce ton déraisonnable, ils s’amusent avec les codes de la pièce d’espionnage. On y retrouve des méchants, des gentils, du suspens, des rebondissements et quelques petites surprises. OSS 117 y serait tout à son aise !
Passion « coco »
L’action se passe à Berlin, à l’époque où la ville, prise dans l’étau de la Guerre froide entre les blocs de l’Ouest et de l’Est, s’était retrouvée séparée en deux par un mur. On ne rigolait pas avec ça à l’époque. Nous sommes dans le salon d’une vieille dame. Rien qu’avec le décor, on sait de quel côté et dans quel camp, nous nous situons ! Ah, ce papier peint ornée de faucilles et de marteaux !
Chez les Hofmann, on vénère Staline, Lénine et tous les bienfaits du soviétisme. Le fils, Werner Hofmann vient d’engager Emma pour s’occuper de sa mère sénile et acariâtre, qui ne peut s’endormir et se calmer que lorsqu’on lui chante Kalika ! L’appartement possède un passage secret qui permet de passer sous le mur, de quoi faire rêver Emma et son fiancé Ludwig qui veulent passer à l’Ouest. Le hic, sinon, cela ne serait pas drôle, c’est que Werner appartient à la fameuse Stasie, la police secrète de la RDA, et que des espions viennent semer la pagaille… De malentendus en maladresses, l’évasion vers la liberté devient une péripétie totalement déjantée ! Et on ne va pas s’en plaindre !
Une comédie au cordeau
La pièce est franchement bien ficelée, aucun temps mort et des rebondissements à la pelle. La mise en scène de José Paul est des plus alertes. Rien n’est laissé au hasard, même les dérèglements ! Les décors d’Édouard Laug sont formidables. Un par acte, le salon, l’austère bureau de la Stasie et nous ne dirons rien du troisième pour ne pas nuire à la scène finale. Les personnages sont traités avec subtilité, même quand ils frisent la caricature, comme ce général (impayable Guilhem Pellegrin) désespéré par la fuite à l’Ouest de sa petite chienne.
Une troupe survoltée
Pour que ce genre de pièce fonctionne, au-delà de la mécanique bien huilée, il faut une distribution du tonnerre. Et ici, elle l’est ! Chacun joue sa partition avec justesse et un sens aigu du comique. Dans le rôle d’Emma, béret vissé sur la tête et une détermination à toute épreuve, l’exquise Anne Charrier (remplacée pour la reprise par Lysiane Meis) est brillante. Quelle comédienne ! Le duo qu’elle forme avec Haudecoeur, qui joue son fiancé, fonctionne totalement. Comme à son habitude et avec virtuosité, le démentiel auteur et comédien promène, entre naïveté et maladresse, son air de parfait benêt. Dans le personnage de Werner, agent zélé et exalté de la Stasie, Maxime d’Aboville est tout simplement inénarrable. Marie Lanchas, en gardienne austère du devoir communiste, et Loïc Legendre, en médecin qui cache bien son jeu, ne sont pas en reste, tout comme Claude Guyonnet et Gino Lazzerini, dans tous les petits rôles qu’ils enchaînent. Le rire étant la meilleure des thérapies contre la morosité, munis de vos pass, franchissez le mur et courez voir Berlin, Berlin !
Marie-Céline Nivière
Berlin, Berlin de Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras
Théâtre Fontaine
10 rue Pierre Fontaine
75009 Paris
Jusqu’au 28 avril 2024
Durée 1h30
Mise en scène de José Paul assistée de Guillaume Rubeaud
Avec Lysiane Meis, Maxime d’Aboville, Patrick Haudecœur, Loïc Legendre, Guilhem Pellegrin, Marie Lanchas, Claude Guyonnet, Gino Lazzerini
Décor d’Édouard Laug
Costumes de Juliette Chanaud
Lumière de Laurent Béal
Musique de Michel Winogradoff
Crédit photos © Bernard Richebé