À Vernier, Salle du Lignon, dans le cadre du Festival Antigel, Rafaele Giovanola poursuit son questionnement du « corps impensé » à travers l’exploration de formes hybrides. Conjuguant habilement mouvements s’inspirant de la boxe thaï et gestuelles empruntées au ballet romantique, la fondatrice de la Cie Cocoondance signe une pièce singulière, énergique qui invite à découvrir d’autres dimensions.
Quitter Genève, son célèbre lac, pour sa périphérie, s’engager sur d’autres routes loin du brouhaha de la ville, est le début d’une aventure vers un ailleurs, un monde fait de barres d’immeuble gigantesques, de centres commerciaux ramassés, de salles paroissiales réunissant quelques fidèles. Envahissant l’espace, l’obscurité de la nuit donne aux alentours de la salle du Lignon, lieu culturel de la ville de Vernier, une étrangeté entre science-fiction et roman noir. Attisant notre appétit, la mixité des populations qui s’entrecroisent, s’entremêlent dans cet univers où la banalité du quotidien se confronte à la fragilité et la fugacité de l’œuvre artistique, a tout d’un prologue troublant à la dernière création de Rafaele Giovanola, une sorte de mise en appétence.
Au-delà du ring
À l’intérieur du bâtiment, situé en retrait des habitations, les spectateurs prennent place. La salle se remplit. Le public est au rendez-vous. La chorégraphe suisse basée à Bonn en Allemagne, attire toujours autant les passionnés de danse, les curieux, les néophytes avides d’expérience, d’écriture hybride. Le noir se fait. Un cliquetis métallique, à peine audible, se fait entendre au loin, des silhouettes apparaissent en fond de scène. De profil, les corps tressautent, vibrent. Pris de spasmes ou, plus exactement, se mettant en condition pour entrer sur le tatami blanc, pénétrer au cœur du ring, les cinq danseuses et l’unique danseur fourbissent leurs armes, échauffent leurs muscles, se préparent mentalement, physiquement à affronter temps et espace, à confronter en un même mouvement l’art de la boxe thaï et écritures très codifiées des ballets romantiques.
Danse robotique
Tout comme dans Vis Motrix, pièce présentée à Genève en 2019, Rafaele Giovanola dépasse la notion de corps, d’humanité pour aller vers une grammaire plus mécanique, plus automatique. Gestes saccadés, discontinus, mouvements accélérés puis ralentis, elle joue des temporalités, des effets lumières, pour transcender ses interprètes, les placer dans une dimension presque androïde. Rappelant les déplacements des insectes autant que ceux des danseurs de ballets romantiques, elle imagine une chorégraphie de troupe, où chaque élément se fond dans l’ensemble, mais sans perdre pour autant son individualité. C’est toute la force de cette œuvre chorale si bien coordonnée par la chorégraphe.
Mélange des genres
Cherchant le point de frottement entre la boxe et la danse classique, Rafaele Giovanola s’amuse à nous surprendre, à ne pas chercher l’immédiateté de l’effet. Ainsi, les bras restent longtemps collés au corps, refusant de bouger. Seules les jambes débordent d’énergie, virevoltent, tentent d’échapper à l’inexorable pesanteur de la gravité. Elle ménage des moments plus soutenus et d’autres plus âpres, plus arides, jusqu’à un final explosif, intense, un exutoire au temps covidé ! En parallèle, la chorégraphe anime avec l’Iconique Kikihouse of Juicy Couture un atelier où l’univers de la danse contemporaine se frotte au Voguing. Résultat d’une semaine de résidence le 5 février, Salle du Lignon…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Genève
Hybridity de Rafaele Giovanola
Festival Antigel 2022
Salle du Lignon
Place du Lignon 16
1219 Vernier
Jusqu’au 1er février 2022
Durée 1h00 environ
Chorégraphie de Rafaele Giovanola
Cie Cocoondance
Avec Álvaro Esteban Lopez, Fa-Hsuan Chen, Martina De Dominicis, Clémentine Herveux, Anna Harms.
Musique & Son de Jörg Ritzenhoff, Chopin & Franco Mento
Costumes de Mathilde Grebot
Créations lumières de Boris Kahnert & Peter Behle
Dramaturgie, concept de Rainald Endraß
Crédit photos © Alessandro De Matteis