Le regard est intense, charbonneux. Les cheveux bruns, ondulés, forment une sorte de casque donnant à la dame de faux airs de reine d’Egypte, sensuelle, charnelle. La robe noire de bohémienne, mêlant voiles et velours, laisse entrevoir la silhouette fine, voluptueuse. La voix douce, un peu fêlée, égrène les mots crus, rageurs, envoûtants et tendres de celle qui fut mère, amante, ou putain au grand cœur. Vibrante, intense, Coraly Zahonero redonne vie à Grisélidis Réal et esquisse un portrait sensible et drôle de cette figure du féminisme d’avant-garde, de cette poétesse de l’humain… Jubilatoire !…
A l’heure où le Carrousel du Louvre se vide, où le Musée et les boutiques ferment leurs portes, le Studio de la Comédie-Française invite à une rencontre singulière avec une personnalité hors du commun, une figure emblématique et controversée du féminisme des années 1970. Brune, éblouissante, Grisélidis Réal fascine. Femme de Lettres, poétesse à ses heures, artiste jusqu’au bout des ongles, la belle se prostitue pour subvenir aux besoins de sa famille. Très vite, elle se prend au jeu et voit dans son métier une façon de soulager les souffrances, d’aider son prochain. Infirmière des cœurs et des âmes, elle offre à tous ceux qui l’approchent, qu’ils soient beaux, laids, grands, petits, attirants ou repoussants, un moment de bonheur, un fragment de paradis. Jamais de regard blessant, toujours le geste rassurant, elle est la putain humaniste. Militante, féministe, elle se bat pour que la prostitution se libère de la morale bourgeoise, des préceptes religieux et des a prioris. Libre, Grisélidis a lutté toute sa vie contre les préjugés, affirmant à ceux qui voulaient bien l’entendre que certaines femmes pouvaient faire le choix du plus vieux métier du monde. Héroïne pour certain, antéchrist pour d’autres, la suissesse n’a jamais laissé indifférent. Alors que la salle s’éteint, que des tentures noires cachent la scène, le moment est d’importance, unique.
Non loin de l’immense pyramide inversée, là où tous les jours, touristes et parisiens se croisent sans se voir dans un brouhaha de tous les diables, la comédienne Coraly Zahonero nous convie dans un lieu intime, un endroit discret, qui a vu passer tant d’hommes, l’alcôve de cette putain sublime, que la mort a rendue iconique. Des notes de musique fendent le silence. Un rayon lumineux, côté jardin, déchire l’obscurité. Une silhouette apparaît. Saxo à la main, Hélène Arntzen nous emporte dans un solo jazzy envoûtant. Puis côté cour, une autre ombre rentre dans la danse. Armée de son violon, Floriane Bonanni rejoint la partition.
A nouveau, le silence se fait, les deux musiciennes quittent la lumière, alors qu’une voix semble venir d’outre-tombe retentit. Un léger accent trahit l’origine helvétique de sa propriétaire. Du fond de la salle, dans un nuage de parfum entêtant, une femme frêle, toute vêtue de noir fait son apparition. C’est elle. Elle, Grisélidis Réal, femme de toutes les tentations et de tous les combats. Elle, Coraly Zahonero, Comédienne lumineuse, habitée, qui, au hasard de ses pérégrinations sur Facebook, a découvert cette égérie de la prostitution assumée. Fascinée par ce personnage entier, cette guerrière des temps modernes, la sociétaire de la Comédie-Française, s’est plongée dans son univers, dans ses poèmes, dans ses livres. Ensorcelée par cette femme unique, peu connue en France, elle s’est abreuvée de ses entretiens, à rencontrer ses proches afin d’esquiver le portrait d’une humaniste, pour qui le sexe n’était autre qu’un remède à la solitude, au mal-être, qu’un moyen d’échapper à la dure réalité du quotidien, un moment d’extase et de lâcher-prise dans la rudesse du quotidien, une façon d’aller à la rencontre de l’autre.
Ainsi, anecdote après anecdote, la comédienne laisse place à cette putain magnifique – qu’un jour, le cancer a rongée. Alors que le Parlement vient d’adopter la loi pénalisant les clients, précarisant les travailleurs(-euses) du sexe, elle reprend le combat. Les armes à la main, Coraly Zahonero libère une parole salvatrice, longtemps oubliée. Elle signe un plaidoyer terriblement actuel, intense, puissant et empli de poésie…
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Singulis : Grisélidis
Studio – Comédie-Française
99, rue de Rivoli
Galerie du carrousel du Louvre
75001 Paris
Jusqu’au 8 mai 2016
Du mercredi au dimanche à 20H30
Durée 1h
La pièce sera en tourne du 17 au 18 mai au Théâtre Jean Vilar à Suresnes puis en Avignon au Petit Louvre pour le festival du 8 au 30 juillet au Petit Louvre à 18h15.
Texte de Grisélidis Réal
Adaptation, conception et interprétation : Coraly Zahonero
saxophones : Hélène Arntzen
violon : Floriane Bonanni
lumières de Philippe Lagrue
Scénographie et costumes de Virginie Merlin
Crédit photos © Vincent Poncet