De la tempête, où elle présente Rebibbia d’après l’œuvre de Goliarda Sapienza, au théâtre 14, où elle donne vie à Agatha de Marguerite Duras, avant d’investir le plateau du Vieux-Colombier en juin prochain, dans le cadre de Molière 2022, Louise Vignaud est une jeune metteuse en scène fort occupée. Sensible aux mots, aux récits de femmes, elle évoque son parcours artistique, son goût de la littérature et des tableaux vivants.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
Louise Vignaud : Ayant grandi à Paris, j’ai eu la chance d’aller au théâtre quand j’étais petite. Ma grand-mère, professeure de Lettres, nous emmenait souvent avec ma sœur pour nous faire apprendre le monde. On allait à la Comédie Française, à l’Odéon pour voir des classiques ou découvrir des œuvres plus contemporaines. En quatrième, je me souviens avoir vu le Phèdre de Chéreau. Cela m’a profondément marqué, a attisé un peu plus mon désir d’explorer les coulisses, les mécanismes de l’art vivant. Du coup, très tôt, J’ai été fascinée par ce que je voyais, attirée par la dimension globale du spectacle et les histoires que l’on venait me raconter sur scène. J’avais un goût prononcé pour tout ce que cela cachait, pour les rouages, la machinerie, les acteurs, le jeu, les costumes, etc. Il y a dans le théâtre, un rapport d’expérience humaine et sensible que je ne retrouve nulle part ailleurs. C’est comme une évidence.
Pourquoi avoir choisi la mise en scène ?
Louise Vignaud : je pense que cela vient du même point de départ, faire des récits, raconter des histoires. L’avantage, c’est qu’à la mise en scène, on touche un peu à tout, on travaille tous les langages possibles du théâtre afin de les conjuguer, de les mettre ensemble afin de trouver une cohérence et faire spectacle. Cette possibilité du tableau global m’a intéressée et a décidé de mon choix de carrière. Comme beaucoup, j’ai commencé par le jeu. J’ai commencé très jeune, mais si j’aime le plateau, y retourner, cela ne suffit pas à nourrir mes envies, mes désirs. J’aime trop les images, les construire et voir leurs effets. Je suis passionnée par la notion de transmission d’une histoire, d’un récit, de donner vie à des mots. Je crois qu’avec la mise en scène, j’ai trouvé mon endroit, ma place.
Vous revenez à Paris avec deux spectacles, l’un créé en 2018 et l’autre en 2020, qui ont été peu joués en raison de la crise sanitaire. Comment se passent de telles reprises ?
Louise Vignaud : C’est pour moi comme un travail d’aboutissement. Le temps est un élément extrêmement précieux dans le processus créatif. Toutefois, c’est très différent pour les deux spectacles. Pour Rebibbia, adaptation de l’œuvre homonyme de Goliarda Sapienza, j’étais plutôt satisfaite de ce que l’on avait présenté en novembre 2018 au TNP-Villeurbanne, mais par rapport à certaines images, j’avais des regrets. Je n’avais pas eu le temps à l’époque de peaufiner des tableaux, d’aller au bout de ce que je voulais faire. Par ailleurs, en un peu plus de trois ans, j’ai grandi, mon regard s’est affiné, j’ai donc eu envie de creuser un peu plus certaines scènes. Du coup, j’ai pu, en raison des reports successifs, retravailler le spectacle, revoir l’ouverture, alléger la scénographie, réécrire certains passages afin de tendre vers quelque chose de plus approfondie, de plus juste sur ce que je souhaitais faire sur ce texte. Tout cela m’a permis d’aller plus loin dans ma quête pour donner vie aux mots de cette autrice italienne.
Et pour Agatha ?
Louise Vignaud : C’est un peu pareil. Il y a dans cette période en suspension, un rapport au temps et au travail qui s’est instauré, qui a permis de continuer ce que nous avions débuté en 2020. Quand j’ai présenté ce spectacle en 2020 au TNP, je n’étais pas totalement satisfaite. Le spectacle était fini, mais il manquait un truc. J’avais l’impression de ne pas être aller au bout de ma recherche. D’autant, que dans mes souvenirs, nous n’avions eu que trois semaines de répétition, ce qui est très court pour un spectacle. L’avantage de ce temps en plus, c’est que je vais pouvoir continuer ma quête pour emmener le texte de Duras à l’endroit où je le souhaite.
Qu’est-ce qui vous a plu dans l’écriture de Golierda Sapienza ?
Louise Vignaud : D’être toujours à côté des idées reçues. J’aime sa manière de déplacer le regard, de croquer cette galerie de femmes incroyables. Elle esquisse des personnalités, des destins qui sont à la fois terribles et émancipatoires. Je suis profondément fascinée par tout ce que ce texte révèle de contradictoire dans la vie de l’autrice, mais aussi dans son écriture. Par ailleurs, je trouve intéressant que cela se passe en prison, dans un huis-clos forcé, car cela donne au texte quelque chose de forcément théâtral. Et derrière sa propre histoire personnelle, il y a en filigrane une vision très politique de la manière dont l’Italie traite ses prisons.
Êtes-vous allés en prison pour mieux appréhender le sujet ?
Louise Vignaud : J’y suis allée pour animer des ateliers, mais pas dans une démarche documentaire. Toutefois, je me suis intéressée au sujet à travers des livres, des reportages, les photos de Bettina Rheims, etc. mais ce que je trouve fascinant chez Golierda c’est un rapport de subjectivité. C’est-à-dire dans son récit, elle le transpose. On n’est pas dans une écriture documentaire, mais dans un récit autobiographique. Elle fait toujours appel à la fiction, brouillant les pistes avec ce qui est réel et ce qui ne l’est pas. C’est ce frottement-là qui est passionnant et qui permet des échappées théâtrales fascinantes, des images. C’est là que l’on crée de la contradiction.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’adapter Duras ?
Louise Vignaud : La langue. J’aime travailler des textes littéraires. C’est une constante dans mon œuvre. Et puis, le sujet évidemment, l’histoire de la mémoire, de l’enquête, du consentement, l’impossibilité chez Duras de faire des rapports humains simples. Il y a encore, dans Agatha, une contradiction entre un amour très fort et un amour impossible.
La plupart des textes que vous montez font la part belle aux femmes. Est-ce important de porter ces paroles féminines et féministes ?
Louise Vignaud : Je crois que c’est tout à fait instinctif, absolument pas réfléchi. Je crois que c’est à cet endroit que j’arrive à faire entrer dans les récits une subjectivité. Je suis une femme, donc quand je lis des textes, femmes et hommes sont à égalité, donc quand je le traite au plateau, ils ont la même importance. C’est ma lecture du monde qui passe par de belles figures féminines, cela n’a rien de volontaire. Alors, oui c’est important d’en parler et il y a dans ce que je fais une forme de féminisme. Toutefois, Ce n’est pas du tout l’enjeu de mon travail.
Que pensez-vous du #metoothéatre et des répercussions que cela a sur le milieu artistique ?
Louise Vignaud : C’est un mouvement qui fait du bien. Il est nécessaire et permet de remettre les choses à plat, de les dire. Il y a, je trouve, un rapport à la parole libérateur. Cela permet de faire bouger les lignes et donc forcément cela entraîne des dégâts. Des événements, des actes, qui ne sont plus tolérables aujourd’hui ont eu lieu, il est logique qu’il y ait un effet retour, une remise en question, une prise de conscience. Ce qui est aussi intéressant, c’est ce que cela raconte du métier, de son organisation très patriarcale, mais aussi de notre société. Il y a un besoin d’exemplarité, de changement de mentalité.
Quels sont vos projets à venir ?
Louise Vignaud : Comme j’aime me confronter à des langues différentes, je prépare dans le cadre 400e anniversaire de Molière, le Crépuscule des singes, une pièce imaginée avec Allison Cosson autour d’une rencontre entre l’auteur français et Boulgakov. C’est une fable un peu baroque sur l’immortalité de l’art et l’hypocrisie du pouvoir. Cela va dans le sens de mes recherches artistiques de littérature et de liberté et comment trouver un langage esthétique fort et libre. Elle sera créée en juin au Vieux-Colombier.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Rebibbia d’après L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza
L’Université de Rebibbia est paru dans la traduction de Nathalie Castagné aux éditions Le Tripode.
Rebibbia se veut une adaptation libre de ce récit, elle n’engage que ses auteurs.
adaptation Alison Cosson et Louise Vignaud
écriture Alison Cosson
mise en scène Louise Vignaud
Théâtre de la Tempête
Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris
Jusqu’au 16 janvier 2022
Durée 1h40
Agatha de Marguerite Duras
Mise en scène de Louise Vignaud
Avec Marine Behar et Sven Narbonne
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris
Du 8 au 19 février 2022
Durée 1h20
Le crépuscule des singes d’après les vies et œuvres de Molière et Boulgakov
texte d’Alison Cosson et Louise Vignaud
Mise en scène Louise Vignaud
Théâtre du Vieux-Colombier
Comédie-Française
21 rue du Vieux Colombier
75006 Paris
du 1er juin au 10 juillet 2022
Crédit photos © Rémo Blasquez, © Christophe Raynaud de Lage, © Rémi Cavalca