Daria Deflorian et Antonio Tagliarini Avremo ancora l'occasione di ballare insieme © Andrea Pizzalis

Deflorian-Tagliarini, passeurs de fantômes

Aprés l'Odéon, le duo italien Deflorian-Tagliarini pose ses valises felliniennes au Théâtre Garonne à Toulouse.

Après Antonioni, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini invoquent les spectres de Fellini dans leur dernière création, Avremo ancora l’occasione di ballare insieme. Le duo d’artistes y évoque le mélange de joie, de désir, d’angoisse et de mélancolie qui préside à l’acte artistique, ainsi que la douce nostalgie des gloires du passé.

« Qu’est-ce que cela a à voir avec le film ? » Cette interrogation revient régulièrement dans la bouche des personnages au cours de la pièce, comme un discret leitmotiv. Le film en question, Ginger & Fred, œuvre tardive de Fellini, sert plus de fond thématique que de véritable support dramaturgique, comme le Désert rouge était invoqué par le couple d’artistes dans leur précédente création, Quasi niente, avant tout pour y puiser ses variations autour de la figure dépressive de Giuliana, incarnée dans le film par Monica Vitti. Ici, Antonio Tagliarini et Daria Deflorian campent un couple de comédiens s’apprêtant à jouer Amelia et Pippo, les danseurs de claquettes du film de Fellini, eux-mêmes imitateurs du duo Ginger RogersFred Astaire. Deux autres binômes de comédiens contribuent à décliner ce couple à d’autres âges : Francesco Alberici et Martina Badiluzzi, trentenaires rayonnants encore juvéniles, et puis Monica Demuru et Emanuele Valenti, quarantenaires pris entre l’élan et la nostalgie.

Parler, danser

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
Avremo ancora l'occasione di ballare insieme © Andrea Pizzalis

Nous sommes dans l’antichambre du spectacle, sur un plateau retourné où les coulisses remplacent la scène et où la scène, reléguée dans l’obscurité du fond, reste éclairée par la lumière frêle d’une seule servante. Un entre-deux encore enveloppé de l’aura de la scène mais en principe caché de celle-ci, où a lieu une forme de longue séance, un peu magique et très introspective, où les personnages se replongent dans des souvenirs de jeunesse ou d’enfance et méditent sur la relation intime et compliquée qui unit un couple d’interprètes. Tout peut se mêler dans cet espace-limite : le rêve et le réel, la performance et la vie, les références entre elles. Parler, pallare, et danser, ballare, se confondent à l’oreille comme sur scène. L’un évoque Pina Bausch pour montrer combien ses chorégraphies rejoignent la vie, l’autre rejoue son passé de serveur et ses gestes ressemblent à de la danse. Un dernier répète en boucle les saluts de célèbres acteurs italiens.

Un bal de fantômes

Ce millefeuille de citations ressemble à un bal un peu postmoderne et très hantologique, réinvestissant le spectre de gloires passées dans le travail de création au présent. Ce n’est pas un hasard si la pièce est placée sous l’égide d’une incursion futuriste, où le théâtre est investi comme le vestige d’une forme perdue par des visiteurs émerveillés. Toute performance est déjà doublement hantée, nous disent les deux comédiens : par les spectres des interprètes qui les ont précédés d’un côté, et par la promesse de leur propre disparition de l’autre. Deflorian et Tagliarini ne jouent pas uniquement sur leur principe de décor inversé et dénudé, mais produisent des images oniriques et artisanales, qui rejoignent les visions clownesques et infantiles de Fellini. Finalement, lorsque, comme dans Ginger et Fred, la lumière s’éteint, les personnages plongent – littéralement – au plus profond de leur imaginaire. Si elles n’ont pas tous la même force d’évocation, ces vignettes crépusculaires participent néanmoins d’une rêverie composée avec finesse, portée par des interprètes qui, ensemble, parviennent à faire cohabiter l’élan vital de la performance et la douceur triste de la stase.

Samuel Gleyze-Esteban

Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
Avremo ancora l'occasione di ballare insieme

Avremo ancora l’occasione di ballare insieme [Nous aurons encore l’occasion de danser ensemble]
Un projet de Daria Deflorian et Antonio Tagliarini

Ateliers Berthier
Odéon – Théâtre de l’Europe
75017 Paris

Du 12 au 15 janvier 2022 au Théâtre Garonne – scène européenne, Toulouse (FR)

Interprétation et co-création : Francesco Alberici, Martina Badiluzzi, Daria Deflorian, Monica Demuru, Antonio Tagliarini, Emanuele Valenti

Crédit photos © Andrea Pizzalis

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