Cheveux blonds, légèrement péroxydés, taille mannequin, Marie-Sophie Ferdane est une artiste rare, surdouée, capable d’être fragile, virile, singulière et ardente. Troublante Dame aux Camélias chez Nauzyciel, femme s’émancipant à corps et à cri chez Rambert, esquissant à chaque rôle, une multitude de figures féminines, la comédienne à la silhouette longiligne, presque androgyne, se glisse dans la peau de Reine Christine à Nanterre-Amandiers sous la direction au cordeau de Christophe Rauck.
Par un froid matin d’hiver, à deux pas de la Colline-Théâtre national, où il y a tout juste deux ans, elle jouait dans Mes Frères de Pascal Rambert, dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel. Seule femme au plateau, condamnée au silence toute la première partie du spectacle, écrasée par le poids du patriarcat, vierge de conte, pas si sotte, pas si naïve, telle une liberté guidant les peuples sur la voie du féminisme, elle finissait par damer le pion à ces beaux messieurs – Adama Diop, Pascal Greggory, Frédéric Pierrot et Arthur Nauzyciel ou Guillaume Costanza en alternance. Manteau crème en laine, parfaitement ajusté, Marie-Sophie Ferdane dégage une aura très nature juste matinée de ce qu’il faut de sophistication. Disons-le sans détour, elle a quelque chose d’unique, d’indéfinissable, une présence lumineuse. Elle est « smart ».
Devenir comédienne
Née dans la région de Grenoble, rien ne prédestinait la jeune femme, avide de lecture, à embrasser la carrière de comédienne. Ayant grandi loin des théâtres et des salles de spectacles, brillante élève, elle tente les grandes écoles, l’ENS, la voie royale pour devenir professeure de lettres à la Fac. « Je n’avais aucune idée qu’artiste était un métier, se souvient-elle. J’ai commencé par faire de l’impro quand j’étais à Normale Sup, quand je suis montée à Paris. Tout de suite, j’ai eu une sensation de liberté, une façon de donner libre court à mes émotions. C’était très ludique. On faisait des matchs entre écoles. C’était une vraie bouffée d’air. » Rapidement, la jeune femme se prend au jeu. À la fin de l’année, Sébastien Bournac, responsable de cet atelier au sein de l’ENS, devenu depuis directeur du Théâtre Sorano à Toulouse, décide de monter Les Bonnes de Jean Genet et demande à l’intéressée de faire partie de l’aventure. « Ça agit comme un déclic, se remémore-t-elle. J’ai découvert le plaisir de jouer. C’était assez dense, d’autant qu’en parallèle je préparais l’agrégation en lettres modernes, que j’ai eu. Mais la sensation que j’ai ressenti en étant sur les planches, à quelque peu ébranlé mon choix d’enseigner. Je me suis donné un an pour voir où cela me menait. »
Une boulimique de travail
Entière, déterminée, curieuse, Marie-Sophie Ferdane ne fait rien à moitié. Elle se donne tous les moyens pour arriver à ses fins et se jette à corps perdu dans le travail. « Afin d’appréhender le métier de comédiens, explique-t-elle avec le sourire, je suis entrée dans deux compagnies amateurs, j’ai proposé mes services en tant que répétitrice. J’ai fait tout ce qui était possible pour me faire une idée, tenter d’en savoir le plus possible, sur ce nouveau chemin qui s’ouvrait devant moi. » À la fin de ce long congé sabbatique, la comédienne en herbe, passionnée de poésie, aimant les mots, les grands textes, entre à la rue Blanche, devenu entre-temps l’École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre (Ensatt) à Lyon. Elle y croise Alain Knapp et Nada Stencar, pour qui, elle garde beaucoup d’admiration. « En tant que prof, raconte Marie-Sophie Ferdane, elle a su canaliser mon impatience. Elle été très empathique avec nous les jeunes comédiennes. Elle a été très formatrice. Elle m’a appris comment travailler, parlait beaucoup de Vitez. C’était passionnant. C’est une des belles rencontres que j’ai faites dans ce métier. » À la sortie des trois années passées à l’Ensatt, en 2001, Richard Brunel lui propose d’intégrer la troupe du Don Juan revient de guerre d’Ödön von Horváth, qu’il monte au Théâtre du peuple de Bussang (Vosges).
De beaux rôles
Ensuite, tout s’enchaîne assez vite. En 2003, Claudia Stavisky lui propose un rôle dans Un songe d’une nuit d’été de Shakespeare, Christian Schiaretti de monter sur scène aux côtés d’une de ses mentors, Nada Stencar, d’interpréter sa fille dans L’Opéra de Quat’sous de Bertold Brecht. Au même moment, elle fait ses premiers pas sur grand écran, dans les Acteurs anonymes de Benoit Cohen.Puis, en 2006, Jean-Louis Martinelli lui offre d’incarner, déjà aux Amandiers-Nanterre, Bérénice de Racine. La même année, C’est la consécration. La jeune comédienne, par son jeu tout en finesse naturelle, en vertige, impose sa longue silhouette – un peu plus d’1m80 – sur les plateaux.
Un passage rapide au Français
Un an plus tard, elle entre à la Comédie Française en tant que pensionnaire pour incarner Célimène dans Le Misanthrope de Molière que met en scène Lukas Hemleb. Elle y reste six ans. En 2013, après avoir incarné, l’été précédent La Mouette dans la cour du Palais des Papes à Avignon, sous le regard généreux d’Arthur Nauzyciel, elle quitte le Français, sans regret aucun. « Contrairement à beaucoup, explique-t-elle avec une belle simplicité, je n’attendais rien. C’était une belle aventure, J’ai aimé le travail de troupe. J’ai beaucoup appris, mais après plus de seize spectacles, j’avais besoin de plus de liberté, d’aller à la rencontre d’autres projets, d’autres artistes, de ne pas attendre d’être choisie par l’administrateur ou l’administratrice. Ce n’était pas pour moi. »
Une artiste fidèle
Quand on regarde, la « théâtrographie » de Marie-Sophie Ferdane, on est frappé par les noms de metteurs en scène et de comédiens qui reviennent sans cesse. Au fil des années, des rencontres, des liens se sont tissés, ont construit une histoire, un récit de vie, un récit de femme. « Je crois, raconte-t-elle, que c’est une histoire de continuité entre les rôles. Je suis sensible aux mots, aux textes évidemment, mais j’ai plutôt l’impression que c’est comme si j’envoyais un message dans l’espace et qu’en face quelqu’un le recevait en se disant, tient elle serait bien pour le rôle. Par ailleurs, oui, je suis fidèle. J’aime travailler avec des personnes que je connais, en qui j’ai une absolue confiance. C’est le cas avec Pascal (Rambert), avec Arthur (Nauzyciel) avec Marc (Lainé), qui m’a proposé d’être dans son prochain projet. Je trouve aussi intéressant d’aller vers d’autres univers, d’autres metteurs en scène, comme avec Christophe (Rauck), avec qui j’ai le plaisir de travailler actuellement sur ce très beau projet où j’incarne Christine de Suède, Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg. »
De la scène à l’écran
Surprenante, étonnante, jamais où on l’attend, Marie-Sophie Ferdane incarne à chaque rôle, une femme différente. Monstre dans Hunter, courtisane évaporée quand elle se glisse dans la peau de Marguerite Gautier, Reine scandaleuse bisexuelle aux Amandiers, chef d’orchestre rêvant de dépoussiérer le classique dans la série Philarmonia, femme de pouvoir dans le monde inversé et matriarcal de Je ne suis pas un homme facile, elle vient de faire ses premiers pas dans une série internationale, en intégrant le casting dans Killing Eve aux côtés de Judie Comer et Sandra Oh. « C’est fascinant de travailler à la mode américaine, explique-t-elle. C’est tellement pro, tellement cadré. Et dire que quand j’étais petite, je me projetais dans mes livres et j’espérais faire de la lecture mon métier. Tout cela a bien changé. »
Comment ne pas être charmé par cette quarantenaire aux yeux sombres, perçants, brillants ? Difficile. Et si vous n’êtes pas encore convaincu, courrez aux Amandiers. En robe blanche virginale, elle est une souveraine férocement tendre, un garçon manqué en quête d’absolu, d’amour et de philosophie.
Marie Gicquel et Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Dissection d’une chute de neige de Sara Stridsberg
Mise en scène de Christophe Rauck
Théâtre Nanterre-Amandiers
Lieu éphémère
Théâtre Nanterre-Amandiers
7 Av. Pablo Picasso
92000 Nanterre
Jusqu’au 18 décembre 2021
Crédit portrait © Jean-Louis Fernandez avec son aimable autorisation
Crédit photos © Philippe Chancel, © Simon Gosselin