Au théâtre de l’Atelier, Tournée générale pour les fameuses Brèves de comptoir, œuvre déjantée et onirique de Jean-Marie Gourio et Jean-Michel Ribes. Dans le triste contexte de la fermeture des bars, accoudés au zinc, certains font de la résistance par le rire ! Santé !
Jean-Marie Gourio est au bistrot ce que Claude Levi-Strauss est aux régions perdues, à savoir un véritable ethnologue d’une race, les accoudés du zinc, qui n’est pas prête de se retrouver en voie d’extinction. Et même si durant de trop longs mois, ils se sont vus interdits de territoire, ces penseurs des bistrots, haut lieu de sagesse et de « connerie » populaire, ont toujours un mot à dire. Les brèves de comptoir, glanées par l’auteur dans les divers troquets de Paris et de Navarre, représentent une parole en liberté, une parole qui demeure populaire et qui a souvent du sens. Généralement avec un coup dans le nez, car le vin délie les langues et embrume le cerveau.
Un opus covidé
Les trois précédents spectacles, présentés en 1994, 1999 et 2010, nous donnaient l’ivresse de cette vie qui s’exprimait. Alors oui, aujourd’hui, avec la Covid, les confinements, les fermetures des bars, c’est comme si quelque chose s’était enrayée dans la machine. On sait que ce qui a, entre autres, le plus manqué au Français durant cette pénible période fut de ne plus pouvoir aller au café. Et que dès la fin des hostilités, ils ont envahi les terrasses, soutenant activement un secteur en crise. C’est pour cette raison que l’on attendait beaucoup de cette tournée générale. Histoire de rire un grand coup, ce qui ne fait jamais de mal.
Les irréductibles piliers de bar
Dehors c’est la catastrophe, la guerre, la peste… Le troquet est fermé. Plus personne ne peut y entrer et, du coup, en sortir ! Quelques irréductibles s’y sont enfermés, dormant la nuit, reprenant leurs conversations dès le matin. C’est comme un jour sans fin. Chacun reprend ses habitudes. C’est peut-être là que pèche un peu le spectacle. En enfermant leurs personnages, Ribes et Gourio ont réduit leur champ d’action et du coup réduit les possibilités. En dehors d’un train qui passe, d’un avion qui survole Le lieu, aucun bruit du dehors dans le troquet. La vie s’est arrêtée ! Or ce qui fait battre le cœur de ces cafés, ce sont les habitués qui entrent et qui sortent, au fil des semaines, des mois et des saisons, traînant avec eux leur quotidien, leurs réflexions, leurs joies et leurs peines.
Une distribution savoureuse
A part ce petit bémol, reconnaissons que la drôlerie et la pertinence des pensées sont toujours réjouissantes à entendre. Et les éclats de rire explosent dans la salle. D’autant que les comédiens, tous formidables, nous donnent à voir un beau panel d’une nature humaine perdue dans une solitude et un désœuvrement. Nanou Garcia, en taulière généreuse, Philippe Vieux, en serveur maladroit, forment un duo des plus typiques de l’imagerie des bistrots parisiens. Quant aux clients, on peut compter sur Philippe Duquesne, Gilles Gaston-Dreyfus, Philippe Magnan et l’exquise Marie-Christine Orry, pour leur donner de belles couleurs. Même s’il manque ce petit air de fête, mais l’époque s’y prête-t-elle vraiment, ces brèves de comptoir se dégustent avec plaisir.
Marie-Céline Nivière
Brèves de comptoir, tournée générale ! de Jean-Marie Gourio
Théâtre de l’Atelier
1 place Charles Dullin
7018 Paris
Du 9 novembre au 12 décembre 2021
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 15h
Durée 1h20
Adaptation théâtrale de Jean-Michel Ribes et Jean-Marie Gourio
Mise en scène de Jean-Michel Ribes
Avec Philippe Duquesne Nanou Garcia, Gilles Gaston-Dreyfus Philippe Magnan Marie-Christine Orry Philippe Vieux
Scénographie d’Emmanuelle Favre
Costumes de Juliette Chanaud
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Assisté de Jessica Duclos
Accessoires de Célia Marolleau
Musique de Jean-Claude Camors
Assistant à la mise en scène Olivier Brillet
Crédit photos © Maria Letizia Piantoni
