Aux Célestins, François Hien, artiste associé du lieu, présente La Peur, sa dernière création inspirée de l’affaire Preynat et Barbarin. Sans jugement, sans a prori et avec beaucoup d’intelligence, l’auteur et metteur en scène ouvre la réflexion sur le sujet délicat de la pédocriminalité au sein de l’église catholique.
Comme pour aller dans un confessionnal, il faut traverser une salle voûtée pour pénétrer salle Célestine, située en sous-sol du théâtre. Sur la scène, une scénographie très épurée – une simple table en bois massif, deux tabourets et un deux bancs tout aussi rustiques, sont placés devant une tenture beige – , rappelant les décors de Thérèse, le film d’Alain Cavalier, attend le spectateur. De chaque côté du plateau les comédiens sont assis. Le public s’installe, les conversations s’achèvent, le silence règne.
Le marché
Tout commence par un étonnant pacte, celui de la compromission. Privé de paroisse, suite à la découverte par sa hiérarchie de ses penchants homosexuels, le père Guérin (illuminé Arthur Fourcade) vit reclus chez sa sœur (détonante Estelle Clément-Bealem), une jeune femme au caractère bien trempé, à la parole souvent d’or. Dans le plus grand secret, il reçoit la visite du Cardinal (impeccable Marc Jeancourt) responsable de sa déchéance. Entre les deux hommes, l’animosité est palpable, l’un reprochant à son supérieur de n’avoir pas dénoncé les multiples crimes pédophiles du Père Grésieux dont il avait reçu les aveux en confession, l’autre d’avoir rompu le secret de l’isoloir, et donc d’avoir porté atteinte à l’inviolabilité des lois de l’église. Pourtant, désireux de prêcher à nouveau, de retrouver sa dignité passée, le père Guérin accepte de revenir sur ses déclarations, de renier ses convictions et se mentir à lui-même.
Une conscience tourmentée
Heureux de retrouver ses fidèles, il en oublierait presque qu’il a péché par envie, qu’il a tordu la vérité au détriment des enfants bafoués par institution qui préfère ses arrangements, ses petits secrets à un scandale qui viendrait flétrir son image. Mais Morgan (exalté Pascal Césari), une des proies faciles du Père Grésieux, n’a rien oublié des salissures subies, du silence assourdissant de l’église et prend la parole tous les dimanches pour dénoncer les mensonges du curé et tourmenter sa conscience. Pour mettre fin à ce jeu du chat et de la souris, le Père Guérin, comme une pénitence, propose au jeune homme, qui accepte sans réserve, de l’accompagner dans ses déjeuners dominicaux, chacun tentant de comprendre les motivations de l’autre.
Une analyse à la loupe
En s’emparant de l’histoire de Bernard Preynat, ancien prête qui fut condamné, en 2020, à cinq ans de prison ferme, sans mandat de dépôt, pour de multiples agressions sexuelles commises sur de jeunes scouts dans les années 70 et 80, François Hien ne cherche aucunement à jeter l’opprobre sur l’église catholique, mais bien à essayer de comprendre comme une institution qui se doit d’être respectable et irréprochable a pu en arriver là, comment des hommes comme le Cardinal Barbarin, pourtant avide d’honorabilité, ont pu faire fi de la morale. Avec finesse, le dramaturge et metteur en scène, comme il l’avait fait dans Olivier Masson doit-il mourir ?, pièce largement inspirée par l’affaire Lambert, analyse des faits, creuse des pistes de réflexions, éclaire par une pensée lucide autant que clairvoyante les chemins impénétrables d’une nature humaine poussée dans ses retranchements, ébranlée au plus profonde de ses convictions sociales.
Fragments reconstitués
Loin de toute littéralité et linéarité, François Hien signe un texte au cordeau où le passé vient s’en cesse éclairer le présent, aider chaque protagoniste à avancer, à évoluer. Avec beaucoup de finesse et de nuance, il Questionne autant le célibat de prêtre, le choix de vocation par défaut, que la brûlante question de l’homosexualité refoulée très prégnante dans ce monde d’hommes. Faisant le choix de croire plutôt aux faiblesses de la nature humaine qu’au mal absolu, il bouscule une vision souvent trop manichéenne du monde. Au-delà de l’irréparable, de l’inexcusable, cela permet un autre regard et peut-être d’envisager autrement l’institution catholique, d’en refondre certains dogmes.
Un timing parfait
Quelques semaines après la publication du rapport Sauvé, qui estime que le nombre de mineurs victimes d’agressions sexuelles au sein de l’Église catholique s’élève à 216 000 de 1950 à 2020, la pièce de François Hien semble tomber à point nommé. Portée par une mise en scène simple, austère, un jeu naturaliste, un poil surjoué, juste ce qu’il faut pour éviter le pathos, pour donner des espaces de respiration, La Peur secoue nos certitudes et ouvre la voie à une vraie réflexion. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Lyon
La Peur de François Hien
La Célestine
Les Célestins – Théâtre De Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Jusqu’à 5 décembre 2021
Durée 1h50 environ
Mise en scène d’Arthur Fourcade & François Hien
Compagnie L’Harmonie Communale
Avec Estelle Clément-Bealem, Arthur Fourcade, Marc Jeancourt, Ryan Larras, Pascal Césari
Régie générale et lumière – Nolwenn Delcamp-Risse
Scénographie d’Anabel Strehaiano
Costumes de Sigolène Petey
Crédit photos © Stofleth