Salle Richelieu, Clément Hervieu-Léger s’empare de la dernière pièce de Tchekhov. Toujours avec précision et élégance, il dirige la troupe vibrante de la Comédie-Française et livre une version fort limpide de cette comédie en quatre actes. Après La Cerisaie déroutante de Tiago Rodrigues à Avignon cet été, celle du Français était fort attendue. Se préparant depuis des mois, dans les antres de la maison de Molière, elle manque d’un souffle de vie, d’un je-ne-sais-quoi pour totalement séduire et emporter, comme si rétif, le texte du dramaturge russe résistait au metteur en scène, à sa vision délicate de cet univers qui s’écroule.
Dans un écrin de bois clair, rappelant quelques datchas cossues de la fin du XIXe siècle, Lioubov (Florence Viala) et ses proches se retrouvent pour empêcher l’inéluctable vente du domaine familial. Attachés viscéralement à cette Cerisaie, tous espèrent un miracle. Faute de volonté, d’ambition, d’accepter d’en finir avec un temps oisif et désœuvré, rien ne vient enrayer le funeste destin, la destruction de ce petit paradis, la dernière part vivante de la maîtresse des lieux.
Fidèle au texte, trop, certainement, Clément Hervieu-Léger, dont les dernières mises en scène n’ont fait qu’affirmer et confirmer le talent, la capacité d’insuffler de l’élégance, de la beauté aux œuvres qu’elles soient classiques ou contemporaines, se laisse rattraper par la mélancolie mortifère souvent associée de Tchékhov. Certes, il laisse percer les derniers traits humoristiques de cette tragicomédie, de cette fin de monde, mais par souci de sobriété, d’épure, il semble peiner à trouver le chemin de vie, qui en filigrane de l’œuvre, laisse entrevoir un avenir fort différent mais possible. Autour de la belle et éthérée Lioubov, tous tentent individuellement de faire le deuil de ce lieu ancré dans leur sang, leur ADN, sans jamais vraiment y parvenir. Isolé, chacun dans leur histoire, aucun front commun ne vient les sauver de leur triste existence à venir.
De belle facture, cette Cerisaie, délicate autant qu’emplie de nostalgie, laisse le public quelque peu sur sa faim. Gageons que ce n’est qu’un effet du rodage, qu’au fil des représentations l’œuvre s’affine, se cisèle.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
La Cerisaie d’Anton Tchekhov
Salle Richelieu
Comédie-Française
1 place Colette
75001 Paris
Jusqu’au 6 février 2022
durée 2h20 environ
Mise en scène de Clément Hervieu-Léger
Avec Michel Favory Firs, laquais, Véronique Vella en alternance avec Julie Sicard, Éric Génovèse,, Florence Viala, Loïc Corbery, Nicolas Lormeau, Adeline d’Hermy, Jérémy Lopez, Sébastien Pouderoux, Anna Cervinka, Rebecca Marder, Julien Frison
et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française – Vianney Arcel, Robin Azéma, Jérémy Berthoud, Héloïse Cholley, Fanny Jouffroy, Emma Laristan
Traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan
Scénographie d’Aurélie Maestre
Costumes de Caroline de Vivaise assistée de Claire Fayel
Lumière de Bertrand Couderc
Musique originale de Pascal Sangla
Son de Jean-Luc Ristord
Travail chorégraphique de Bruno Bouché
Collaboration artistique – Aurélien Hamard-Padis
Crédit photos © Brigitte Enguerand. Coll. Comédie-Française