Aux Ateliers Berthier, Alain Françon invite à plonger dans les méandres des sentiments amoureux et des passions impromptues. En adaptant La Seconde surprise de l’amour de Marivaux, il signe un spectacle limpide et lumineux, où étincellent l’éblouissante Georgia Scalliet et la détonante Suzanne de Baecque.
Vêtue de noir, une femme de qualité, une Marquise (épatante Georgia Scalliet) erre, l’âme à peine, dans un beau jardin à l’anglaise. Veuve depuis peu, elle n’arrive pas à surmonter sa peine. Lisette (truculente Suzanne de Baecque), son impertinente suivante, n’en peut plus de voir son air triste, sa mine grise. Se moquant gentiment de sa maîtresse, titillant ses afflictions, elle va tout faire pour dérider son beau visage et lui faire croire à un autre avenir.
Deux âmes en peine
Dans la maison d’en face, un Chevalier (remarquable Pierre-François Garel), malheureux dans ses inclinations, pleure son amante, qui, faute d’avoir la bénédiction paternelle pour convoler en justes noces, a décidé de se couper du monde et d’entrer en religion. Tout comme Lisette, dont les charmes ne le laissent pas indifférent, Lupin (étonnant Thomas Blanchard), valet de ce dernier, se met en tête de changer l’humeur de son maître. Qui sait une intrigue pourrait bien naître entre la Marquise et le Chevalier, bien que tout deux aient renoncé à l’amour ?
Badinages et quiproquos
En observateur de son temps, Marivaux croque avec malice les atermoiements sentimentaux de ses contemporains. Fin dramaturge des comédies amoureuses, il signe avec La Seconde Surprise de l’amour, pièce écrite en 1727, l’histoire singulière de deux êtres en sursis affectifs, qui n’attendent plus rien de la vie, à part peut-être, une belle et chaste amitié. Bien évidemment, chez l’auteur du Jeu de l’amour et du hasard, Cupidon n’est jamais loin. De stratagèmes en quiproquos, s’amusant des fiertés mal placées des uns et des orgueils gonflés des autres, il invite à la légèreté, au badinage, à moment de fantaisie.
Une distribution sensationnelle
Malgré une première scène d’exposition, un peu poussive, très vite, le charme opère. La jeune Suzanne de Baecque, tout juste sortie de l’École du Nord, emporte la mise. Sa gouaille, sa gaucherie font des miracles. Elle illumine le plateau, amuse la galerie. Face à elle, Georgia Scalliet, en retrait toute la première scène, veuvage de son personnage oblige, n’est pas en reste. Au fil de la pièce, elle laisse éclater une palette riche et variée, de jeu. De plus en plus irradiante, elle explose littéralement dans un final haut en couleur. De leur côté, Thomas Blanchard en valet espiègle, Rodolphe Congé en pédant sans le sou, Alexandre Ruby en amant assidu et Pierre-François Garel en homme mélancolique, sauvé par l’amour, ne déméritent pas et donnent à l’ensemble une belle cohésion, une force vive.
Une adaptation entre passé et présent
En s’emparant de cette œuvre pétillante et drôle de Marivaux, Alain Françon ne pouvait pas mieux tomber. En ces temps gris et moroses, où les théâtres sont à la peine, il fait souffler un vent de fraîcheur fort agréable sur les ateliers Berthier. S’appuyant sur un décor simple et stylisé par son complice de longue date Jacques Gabel, le metteur en scène s’attaque avec beaucoup de finesse et de minutie, et ce pour la seconde fois de sa carrière, à la langue du dramaturge. La symbiose entre les deux artistes est clairement une évidence. Conquis, le public se laisse emporter avec délices par les tourments amoureux de la belle Marquise et du trop charmant Chevalier, de l’insolence acidulée de Lisette et du ton badin de Lupin. Un petit bijou à déguster sans modération !
Olivier frégaville-Gratian d’Amore
La Seconde Surprise de l’amour de Marivaux
création le 22 septembre 2021 au Théâtre du Nord
Ateliers Berthier
Odéon – Théâtre de l’Europe
75017 Paris
jusqu’au 4 décembre 2021
du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h
durée 1h50
Tournée
du 9 au 19 décembre 2021 au TNP – Villeurbanne
Les 20 et 21 janvier 2022 au Théâtre Liberté́ – Toulon
du 1er au 5 février 2022 au Théâtre de Caen
du 10 au 19 février 2022 au Théâtre Montansier – Versailles
du 8 au 12 mars 2022 au Théâtre Dijon Bourgogne – centre dramatique national
du 16 au 18 mars 2022 à La Comédie de Colmar
du 24 mars au 1er avril 2022 au Théâtre national de Strasbourg
du 6 au 9 avril 2022 au Théâtre Jeu de Paume – Aix-en-Provence
du 13 au 16 avril à La Comédie de Saint-Étienne – centre dramatique national
les 26 et 27 avril 2022 au Théâtre du Beauvaisis – scène nationale de Beauvais
mise en scène d’Alain Françon
avec Thomas Blanchard, Rodolphe Congé, Suzanne De Baecque, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby et Georgia Scalliet
dramaturgie/assistant à la mise en scène – David Tuaillon
scénographie de Jacques Gabel
lumière de Joël Hourbeigt
costumes de Marie La Rocca
musique de Marie-Jeanne Séréro
chorégraphie de Caroline Marcadé
coiffures/maquillages de Judith Scotto
son de Léonard Françon, Pierre Bodeux
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez