Pour l’ouverture de la saison du Cado d’Orléans, Christophe Lidon, metteur en scène et directeur du lieu, propose avec son Dom Juan – répétition en cours, un spectacle de toute beauté qui nous plonge au cœur même des étapes de la création. Entouré d’une troupe remarquable, Maxime d’Aboville s’y révèle magnifique dans le rôle-titre.
Le Cado, centre dramatique de création Orléans Loiret, est un théâtre de la décentralisation qui a une spécificité. Avec le soutien du département et de la ville, il propose depuis sa création en 1988, une saison théâtrale qui se veut à la fois divertissante et exigeante. Et cela marche ! Il suffit de voir la fréquentation assidue d’un public fidèle, issu des 74 communes du Loiret. Après ces mois de fermeture pour cause de pandémie, Christophe Lidon, qui tient de main de maître la barre de ce beau navire depuis 2015, convie le public à des retrouvailles grandioses. Et les applaudissements chaleureux qui clôturent la soirée montrent que les spectateurs, des collégiens aux anciens, sont enchantés par ce bel instant de partage. Car le spectacle vivant réside sur ce principe même, sur l’échange. Et le théâtre doit « rester une école de curiosité ».
Metteur en scène, jusqu’au bout des doigts
En homme curieux et passionné, Christophe Lidon ne cesse, depuis ses débuts, de me charmer par sa puissance scénique, par la manière qu’il a de mettre en image une œuvre. Il a une intelligence du texte, qu’il soit classique ou contemporain, une façon subtile et sensible de diriger les acteurs, de leur insuffler l’âme qui forge les grandes troupes. Il sait lire une pièce, y puiser toute sa richesse, faire vivre les personnages, du plus grand au plus petit. Marqué par le film, Looking for Richard d’Al Pacino, cela faisait quelques années qu’il tournait autour de l’idée, de plonger dans cet abîme vertigineux qu’est le théâtre dans le théâtre. Avec son Dom Juan – répétition en cours, il réussit parfaitement cet exercice périlleux, et excitant, qu’est de dévoiler le processus de création tout en montrant l’œuvre de Molière.
L’heure du filage
À l’arrivée des spectateurs, le plateau nu est déjà occupé par les comédiens, qui s’échauffent, se préparent, traînent leur trac, se concentrent chacun à sa manière. Dans la salle où trône la table du metteur en scène, Valentine Galey, assistante, arrive, donne des notes à chacun, vérifie, puis range la servante, cette lumière qui vielle toujours. Marc Citti s’allume une cigarette. Dans la salle, cela râle un peu. Non, c’est interdit ! Ai-je même entendu derrière moi ! la comédienne lui fait éteindre son mégot. Et comme un pied de nez, lui qui s’apprête à devenir Sganarelle, regarde le public et, avec les mots de Molière, fait l’éloge du tabac ! Le metteur en scène, Christophe Lidon, entre, salut la troupe. Nous assistons à un filage, ce temps nécessaire pour régler les différents détails, notamment la coordination entre les changements de scène, de décors, d’habillements… Il donne des consignes à la régie, aux comédiens.
Une répétition au cordeau
À part quelques arrêts sur des points précis, comme une scène dite de différentes manières ou des indications de déplacement qui changent le sens de la compréhension, le processus de création n’envahit pas. Il est juste montré comme un éclairage subtil. Pas d’improvisation, tout est pensé par Lidon, écrit par Michael Stampe. Les spectateurs écoutent et découvrent tout cela avec appétence. Car de cet endroit de la création, ils n’en connaissent pas le processus et ils aiment le découvrir, du lever de rideau aux saluts, deux instants magiques que le metteur en scène a traité brillamment.
Du Lidon dans le Molière
Pas d’inquiétude à avoir, la pièce de Molière est là. Et comme toujours avec Lidon, elle porte en elle des résonances qui touchent et nous font redécouvrir l’œuvre. Quelle excellente idée que d’avoir proposé le rôle de Dom Juan à Maxime d’Aboville ! On sort des sentiers battus du jeune premier ténébreux qui par sa beauté fait chavirer les cœurs. Ainsi, le metteur en scène appuie sur la notion que la séduction ne passe pas que par le physique, cela va bien plus loin. Ce Dom Juan veut aimer jusqu’à plus soif parce qu’il veut être aimé, lui qui ne l’a pas été enfant. Il puise son charme dans les mots, les attitudes, trépigne si on lui résiste. Il dévore les femmes, la vie, se moquant des règles et des gens, parce que sans cela, tout est vain.Le comédien, né à Abidjan et « moliérisé » en 2015 pour sa performance dans The Servant, est redoutable dans ce personnage, l’illuminant de mille facettes et d’une force carnassière surprenante.
Une belle distribution
Autre bonne idée, et il y en a dans ce spectacle, est d’avoir distribué Marc Citti dans Sganarelle. Il forme avec d’Aboville, un duo qui marche très bien. Passant de la tendresse d’un grand frère à l’exaspération d’un servant, avec dextérité et sincérité, Citti est un des plus remarquables Sganarelle que j’ai pu applaudir. Là, où on ne l’attend jamais, Christelle Reboul, montre à nouveau l’étendue de son art. Passant par toute une palette de nuances, elle est une Elvire magnifique, vibrante jusqu’à la folie. Et pour parfaire ce travail, on peut compter sur le talent et la justesse de jeu de Jean-Marie Galey, Grégory Gerreboo, Mathieu Métral et Rose Noël. La troupe dans son ensemble donne à ce spectacle une âme où l’art théâtral est à la fête.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale d’Orléans
Dom Juam – répétitions en cours, conçu, mis en scène et scénographié par Christophe Lidon
Cado d’Orléans, Centre National de création Orléans Loiret
Boulevard Pierre Ségelle
45000 Orléans
Du 1er au 15 octobre 2021
Durée 1h45
Tournée
Le 4 novembre 2021 à Monaco
Le 17 novembre 2021 à Chaville (92)
Le 25 novembre 2021 au Chesnay (78)
Le 30 novembre 2021 à Boulogne Billancourt (92)
Le 7 décembre 2021 à Neuilly sur Seine (92)
Le 10 décembre 2021 à Maison Alfort (94)
Le 12 décembre 2021 à Pully (Suisse)
Le 10 janvier 2022 à la Ciotat (13)
Le 31 janvier 2022 à Saint-Cloud (92)
Textes additionnels de Michael Stampe
Assistante à la mise en scène Valentine Galey
Avec Maxime d’Aboville, Marc Citti, Jean-Marie Galey, Valentine Galey, Grégory Gerreboo,
Mathieu Métral, Rose Noël, Christelle Reboul
Lumière de Cyril Manetta
Musique de Cyril Giroux
costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian