Au cœur de la Drome, dans le cadre de la Comédie itinérante, Marc Lainé invite à un voyage à travers le temps et l’espace. Dans un compartiment de train, il trace la trajectoire de deux êtres que tout sépare, les combats, les origines, les idées, mais que l’amour un temps réunit. Une histoire de couple ,ciselée, troublante et profondément humaine.
Cheveux courts, blonds, dépassant de son bonnet rose, tricoté main, Liliane (Adeline Guillot), une jeune femme, vendeuse au Bazar de l’Hôtel de Ville, obverse à travers une fenêtre grise de poussière, le paysage qui défile devant ses yeux. Le train, un corail, dans lequel elle a pris place, file à vive allure à travers la campagne. Il la ramène à Saint-Quentin, chez ses parents, des prolétaires, des ouvriers, des petites gens, comme on dit. Le visage absent, elle laisse ses pensées s’envoler, divaguer vers ailleurs. Face à elle, Paul Langlois (Vladislav Galard), un homme fort bien de sa personne, un séducteur, sûr de ses charmes et surtout de la supériorité de sa classe, la dissèque du regard.
Un amour révolutionnaire
Rien ne laissait présager que ces deux -là, elle, la fille du peuple, lui, le fils de bonne famille, éminent représentant de l’élite, de l’intelligentsia parisienne, se rencontrent et s’aiment du premier regard. Et pourtant, de 1969 à 1974, on suit par petits tronçons de vie, leur histoire, leur passion, leurs conflits, leur intimité mâtinée d’admiration, de compromis, d’idéalisation de l’autre. Elle aimerait être sa muse, son égale, lui montrer ce que c’est que la vraie vie, loin de leur appartement cossu de la rue de Sèvres. Lui rêve d’être son pygmalion, celui qui la sort de son milieu de naissance, lui donne un métier, une consistance, une place dans son monde d’intellos. Loin des conventions de l’époque, leur idylle serait-elle vraiment un pied de nez à la bien-pensance, aux normes établies ? Rien n’est moins sûr.
L’émancipation de la femme
Derrière les sourires, les cris, les larmes, les baisers enflammés, une autre vérité se dessine, celle du mâle dominant qui vacille, de la femme qui se libère et s’affranchit. Avec délicatesse, ingéniosité, la plume enlevée, poétique de Marc Lainé explore la sociologie du couple, les rouages des codes sociétaux, le moment de bascule où l’un perd pied et l’autre s’affirme. En confrontant sur l’oreiller deux mondes, deux sexes, il signe un spectacle tout en finesse où rien n’est vraiment ce que l’on voit, ce que l’on croit et esquisse le portrait sensible, lumineux d’une femme qui se révèle à elle-même et affirme sa pensée claire, nette.
Face à face au cordeau
Porté par la belle musique jouée en direct par le violoncelliste Vincent Ségal, qui ponctue et souligne chaque saynète, le duo Vladislav Galard–Adeline Guillot donne corps et chair au texte de Marc Lainé, en fait vibrer chaque mot. Chacun joue magnifiquement sa partition. Lui est extraordinaire en homme faussement évolué, mais dont le ton sent bon le patriarcat et le paternalisme. Elle est sublime en Galatée amoureuse, mais lucide en femme décidée prête à tout pour exister sans l’aide de qui que ce soit à ses côtés. D’ailleurs, tout au long de ce voyage passionnel et initiatique, on peut entendre quelques fragments de sa prose, ciselée poétique, fruit d’une transformation initiée depuis l’enfance par ses lectures, catalysée par le mentor, et stimulée par le désir d’être enfin elle-même.
Petite forme techniquement très aboutie, gérée de main de maître par l’épatant Marc Lainé, Paysages mineurs est une balade joliment nostalgique au cœur d’une singulière et banale histoire d’amour. Un moment très seventies, en tout point délectable.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montoison
Paysages mineurs de Marc Lainé
Spectacle créé le 21 septembre 2021 à La Salle, Valaurie en partenariat avec La Maison de La Tour
La Comédie itinérante
Comédie de Valence
Place Charles Huguenel
26000 Valence
jusqu’au 13 octobre 2021
Durée 1h environ
Tournée
Du 30 novembre au 12 decembre 2021 au Théâtre 14
du 17 janvier au 20 janvier 22 à La Comédie de Valence CDN Drôme-Ardèche
du 07 avril au 10 avril 22 La Filature Scène nationale de Mulhouse
Mise en scène et scénographie de Marc Lainé
Avec Vladislav Galard, Adeline Guillot, Vincent Ségal et trois caméras motorisées
Musique de Vincent Ségal
Lumière de Kevin Briard
Son de Clément Rousseaux
Vidéo de Baptiste Klein
Costumes de Dominique Fournier
Collaboration à la scénographie – Stephan Zimmerli
Construction décor – Act’
Construction de la maquette – Simon Jacquard
Crédit photos © Simon Gosselin