Chaillot ouvre sa saison avec la somptuaire création du duo Damien Jalet et Naha Kowei. Pour leur troisième collaboration, les deux artistes signent une œuvre gigantesque qui invite à un voyage spatiotemporel à l’esthétisme crépusculaire. Un tableau vivant fascinant, lunaire !
Une nuit sombre, étrange a envahi la salle Jean Vilar de Chaillot. Sur scène, des ombres, de petits éclats brillants semblent danser. Des ondulations, quelques mouvements, donnent au sable anthracite – Carbure de silicium – qui recouvre le plateau, une vibrance, un début de frémissement. Imperceptiblement, les éclairages signés par Yukiko Yoshimoto nimbent l’espace d’une lumière tamisée, d’un clair-obscur profond. Recouverte de cette substance grise, presque noire, une silhouette émerge des entrailles du sol. Gestes lents, ondoiements lancinants, elle se meut, s’anime, explore cette terre lunaire à la recherche de congénères, d’autres créatures féériques.
Au-delà de la gravité
Dans une ambiance spatiale, rappelant quelques films de science-fiction, quelques mondes lointains, les huit danseurs de Damien Jalet font corps. Imbriqués l’un dans l’autre, ils ne semblent être qu’une unique entité, un amas de cellules prêt à se diviser, à donner naissance à des êtres tous différents, tous singuliers. Glissant sur ce parterre sableux fortement inspiré des jardins secs japonais, qui fascinent depuis longtemps le chorégraphe belge, ils dessinent des arabesques avant de s’enfoncer dans de petits cratères remplis d’un liquide blanc, visqueux qui maintient leurs pieds au sol. Tels des roseaux, ils plient graciles sans jamais rompre, défient la gravité , s’amusent de l’impossible. L’effet est sidérant, hypnotique. Un autre monde s’ouvre devant nos yeux, celui d’une planète crépusculaire, qui ne demande qu’à nous happer vers un ailleurs fantasmé.
Une scéno de dingue
Décidément, le duo Jalet-Kohei n’a pas fini de nous étonner, de nous surprendre. Toujours plus ambitieux, plus inventifs, ils conjuguent leur art pour mieux tendre vers des rêves toujours plus fous. Jouant des matières, s’amusant de leurs caractéristiques physiques, l’une volatile, poussiéreuse, l’autre dense, bouillonnante, ils imaginent un univers entier, un espace insolite à l’esthétisme épuré. Le souffle coupé, le public se laisse emporter par un imaginaire foisonnant, délirant. Particulièrement grande et lourde, la scénographie pensée dans les moindres détails par le plasticien japonais ne supporte que les grandes ouvertures. Et il serait bien dommage d’en raboter les encornures tant elle est étroitement liée à la sensation spatio-temporelle de ce ballet sépulcral autant qu’évanescent.
Lenteur antigravitationnelle
Portés par la musique astrale de Tom Hecker, les huit interprètes – Shawn Ahern, Kim Amankwaa, Francesco Ferrari, Vinson Fraley, Christina Guieb, Astrid Sweeney, Ema Yuasa et l’extraordinaireAimilios Arapoglou – font vibrer l’air, lui donne une densité surnaturelle. Les tableaux s’enchaînent avec une fluidité déconcertante. Bien qu’un peu plus de danse n’aurait pas été pour déplaire, Planet [wanderer] de Jalet-Kohei place la barre très haut en cette rentrée du spectacle vivant. Un spectacle époustouflant de grâce, d’ingéniosité et de beauté !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Planet [wanderer] de Damien Jalet et Kohei Nawa
Chaillot – Théâtre national de la Danse
1 place du Trocadéo
75016 Paris
jusqu’au 30 septembre 2021
Durée 1h
Chorégraphie de Damien Jalet assisté d’Alexandra Hoàng Gilbert
Scénographie de Kohei Nawa
Avec Shawn Ahern, Kim Amankwaa, Francesco Ferrari, Vinson Fraley, Christina Guieb, Astrid Sweeney, Ema Yuasa, Aimilios Arapoglou
Musique de Tim Hecker
Lumieres d’Yukiko Yoshimoto
Collaborateur à la création Sonore Xavier Jacquot
Regard Extérieur – Catalina Navarrete Hernández
Crédit photos © Rahi Rezvani