Après avoir brûlé les planches du TNN en mai dernier, et illuminé les écrans de cinéma dans Les Fantasmes des frères Foenkinos à la mi-août, Joséphine de Meaux fait sa rentrée théâtrale à la Scala-Paris, dès le 8 septembre. Reprenant son rôle de Zelinda, dans le Feuilleton Goldoni, mis en scène par Muriel Mayette-Holtz, la pétillante et survoltée comédienne investit la scène, telle une furie de drôlerie et de virtuosité. Rencontre avec une artiste unique aussi à l’aise à l’écran que sur des planches.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Francis Perrin dans les Fourberies de Scapin, il me semble. Je me souviens avoir beaucoup ri, littéralement, à gorge déployée ! C’était une sortie de classe en 5ème, le spectacle était en extérieur, au Grand-Trianon à Versailles. Donc un endroit sublime, une soirée chaude de juin… Je me souviens du plaisir et de l’impression de liberté… J’étais pensionnaire à l’époque, donc forcément ça amplifiait l’événement.
Ou bien, était-ce beaucoup plus jeune, un spectacle de cirque dans mon village ? J’ai un léger doute. Ces petits cirques particulièrement désuets qui présentaient des numéros avec des chèvres et des lamas… Mais j’ai aussi des souvenirs d’admiration éperdue pour les danseurs folkloriques à la kermesse de mon village… Alors là, j’étais vraiment petite, 2-3 ans… Ils venaient de loin (d’Auvergne… 😉 et dansaient en sabots de bois sur une estrade en planches sous les arbres, au son de l’accordéon et des cabrettes… Autour, il y avait les stands de jeu… C’était tellement exotique ! c’était le bonheur.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est venu très tôt, par le cinéma. Je prenais un plaisir fou à regarder des films. C’était bien avant que je voie ma première pièce de théâtre. On habitait à la campagne donc le spectacle, c’était le western de la Dernière Séance ou les deux films du dimanche soir. Logiquement, vous voyez Gregory Peck ou Philippe Noiret à l’écran, vous avez envie de traverser l’écran pour les rencontrer ! Ces acteurs me transportaient… Je passais beaucoup de temps à rêver, à m’imaginer actrice…
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Comme je vous le disais, cela remonte à avant l’âge de raison. Parfois, je me dis que je n’ai pas choisi, j’étais complètement monomaniaque. C’est un peu énervant vu d’aujourd’hui, d’ailleurs. Les autres métiers du spectacle et du cinéma, notamment la mise en scène que je trouve aujourd’hui passionnante et à laquelle je m’essaye, à l’époque, je n’avais pas du tout l’impression que je pouvais y avoir droit, je ne savais même pas que c’était un métier, je crois… « Je veux être actrice » répétais-je, ou écrivais-je sur les fiches de présentation que les professeurs nous faisaient remplir à la rentrée. Comédienne, c’était naturel, instinctif. Parce que je suis une personne émotionnelle, et rêveuse.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
En 6ème, dans le pensionnat ou j’étais. Un spectacle qu’on avait construit à travers des impros. Un couple d’amoureux voyageait dans le temps et se retrouvait dans différentes époques, et moi, je jouais le savant fou qui les faisait voyager dans ma machine à traverser le temps, un triomphe. Retour vers le futur version pensionnat de filles, où l’on jouait des rôles d’hommes ou de femmes tout à fait naturellement, en fait, c’était le Théâtre du Globe à l’envers ! Mais, à mon grand désespoir, je n’ai pas pu faire la dernière représentation, alors l’une de mes camarades m’a remplacée. Elle aussi a triomphé ! Cela m’a tout de suite fait toucher du doigt une réalité de ce métier : l’interchangeabilité… Amère réalité, et très injuste, car s’il y a bien quelqu’un d’unique, c’est l’acteur !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
En tant que spectatrice ou en tant qu’actrice ? Mon premier grand coup de coeur, c’était à 20 ans pour le Footsbarn Travelling Théâtre. Cela a été un grand choc pour moi, un plaisir immense, partagé avec des amis très chers en plus. Mais j’en ai eu plein… Le Mariage de Figaro, mis en scène par Sivadier, un spectacle génial qui m’avait envoyée direct au 7e ciel du spectateur ! Et, à peu près à la même période, La Mouette mis en scène par Lars Noren, en suédois. Un spectacle profondément humain, sensuel et à la fois très quotidien, donc ultra poétique, et une déclaration d’amour au théâtre…
J’ai beaucoup appris en regardant les autres jouer. J’ai vécu une autre expérience fondatrice quand j’étais à l’école du Studio à Asnières. J’étais dans un super groupe, et on avait suivi un atelier avec Edmond Tamiz, un grand Arlequin des années 50 et un pédagogue extraordinaire, qui cachait sa bienveillance derrière une exigence parfois très dure. C’est avec lui que j’ai commencé à vraiment apprendre à jouer… On faisait un spectacle sur l’Absurde à partir de scènes de Ioneso, Beckett, Adamov… Je me souviens que je lui avais fait part de l’impression de solitude due à la peur qui me submergeait en coulisse, avant d’entrer sur scène, et il avait aussitôt pointé sans ménagement ma grossière erreur : j’étais sur moi, et pas avec les autres… Il nous disait aussi : « Au théâtre, vous avez rendez-vous avec vous-même », c’est une phrase qui n’a jamais cessé de m’habiter.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Ça va faire un peu le lèche-cul, mais bon, tant pis, c’est la vérité, Muriel Mayette est une très belle rencontre. Elle marche à l’intuition, et pas aux injonctions extérieures. Une des conséquences très agréables, c’est qu’elle ne juge pas, et puis l’intérêt qu’elle porte à un acteur n’est dans la recherche d’aucune efficacité, et encore moins de rentabilité. Elle donne à l’acteur les clés de sa présence sur scène… Un regard comme le sien m’aide indéniablement à m’épanouir sur un plateau !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il est essentiel à mon équilibre parce qu’on ne peut pas vivre bien sans travailler. Parce qu’il me lie à l’enfance et qu’il a façonné l’adulte que je suis. J’ai travaillé, je me suis passionnée et j’ai appris à le faire. Alors quand je ne le pratique pas, c’est une grande souffrance. Tout en préférant déployer mon énergie à vivre la vraie vie, les liens, l’amour, plutôt que de forcer à tout prix le destin…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Le décalage beaucoup. La dissonance, la faille, mais j’espère aussi le contrepoint… Sans que je n’analyse trop pourquoi. Peut-être parce que cela parle de la fragilité des gens de tous les jours, d’une humanité qui ne sait jamais vraiment ce qui lui arrive, ou en tout cas ne le comprend pas toujours. J’ai toujours envie de parler de ce qu’on préfère ne pas voir ou de ce qu’on veut oublier… Cela me bouleverse d’autant plus aujourd’hui où tout doit paraître et s’afficher sous un jour édulcoré…
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Mon expérience du plateau passe par l’énergie. C’est un endroit d’explosion. Mais, au début, j’aime laisser les choses venir. Chercher à être là et voir ce que cela procure comme sensations, réactions, de dire ce texte. Voir comment mon corps y répond ou pas. Trouver « le bon endroit », temporel, spatial, mais intérieur. C’est en y entrant qu’on peut espérer que quelque chose se déroule malgré nous.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Le cœur. On est quand même très vulnérable sur un plateau, ou devant une caméra. Alors quand on doute du projet, c’est une grande souffrance. Quand j’ai commencé le théâtre, mon centre de gravité était déplacé, je me tenais en arc de cercle, vers l’avant, sur la pointe des pieds. Comme un plongeon. Ce n’était pas très bien parce que je n’étais pas ancrée dans le sol, quelque chose clochait, tout le monde ne se gênait pas pour me le dire d’ailleurs. Un prof de danse m’avait dit que j’étais « handicapée corporellement », bonjour la pédagogie ! J’ai travaillé et puis j’ai grandi, l’expérience de la vie nous transforme, en tout cas moi, elle m’a transformée. Je revenais de loin, j’étais sauvage et peureuse, mais heureusement aussi très téméraire. Mais j’espère bien que je cloche encore, c’est trop précieux de clocher, je ne veux surtout pas que rien ne cloche en moi !
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Oh, il y en a tellement ! Je suis un peu pudique mais bon, je me lance… Jean-François Sivadier, j’en rêve depuis 20 ans. Je pense aussi à Ivo van Hove, j’avais été éblouie par Vu du Pont. Sinon je trouve le travail de Fanny de Chaillé très intelligent et beau, donc très attirant. Et un jeune auteur que j’ai découvert à Avignon, Samuel Gallet, son texte Visions d’Eskandar est vraiment éblouissant et moderne, fluide. Il parle comme personne de la vie intérieure. Et j’ai beaucoup aimé sa mise en scène, et ses comédiens, ses musiciens… L’idée de travailler avec mes amis me comble aussi de joie. J’aimerais retrouver Vincent Macaigne, et puis j’ai très hâte de découvrir l’écriture de Jean-Luc Vincent… Et puis travailler avec Al Pacino aussi, ou Claude Sautet, au cinéma, mais bon, ça malheureusement…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
À celui que je ne connais pas encore !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Une sculpture. Quelque chose avec des formes et qui se façonne petit à petit, en 3D. Dans la lenteur, dans la patience, dans la clarté, aussi, j’espère.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Feuilleton Goldoni
[L’Intégrale de la trilogie]
D’après la trilogie Les Aventures de Zelinda et Lindoro de Carlo Goldoni
Création au TNN
Du 20 au 29 mai 2021
Reprise
La Scala- Paris
13, boulevard de Strasbourg
75010 Paris
Du 8 septembre et 3 octobre 2021
Crédit photos © DR et © Virginie Lançon