Vendredi 23 juillet, dans la cour bien vidée du tourbillon de vie, nous avons rencontré Sébastien Benedetto, directeur du Théâtre des Carmes et Président d’AF&C, pour faire un bilan de l’édition 2021, qui a eu au moins la chance d’exister.
Depuis l’annonce du Passe-Sanitaire obligatoire, Avignon est devenue bien calme !
Sébastien Benedetto : Cela montre clairement que les visiteurs qui venaient faire un tour, voir un ou deux spectacles ne sont pas venus. Bien sûr, ce n’est pas le désert ! Il y a quand même du monde dans les salles. On peut même dire que cette année à Avignon, il n’y avait pas de touristes, uniquement des spectateurs !
Pour votre première présidence, vous avez été gâté !
Sébastien Benedetto : C’est une année particulière ! Si je fais un pas en arrière, je suis quand même satisfait d’avoir pu faire ce festival. Tout le monde s’est impliqué. Le sentiment général, même si nous avons tous pris un coup de massue avec le Passe-Sanitaire, est qu’il y a eu du public et des professionnels. Globalement, c’est plutôt satisfaisant. En tout cas personne ne m’a reproché d’avoir maintenu le festival. Ce qui est positif ! Pour la ville, le territoire, il n’était pas question de ne pas le faire. Même si, en termes d’affluence dans la ville, je n’ai pas de chiffres précis mais il semble que ce ne soit pas un grand festival.
Des gens qui viennent majoritairement de la région ?
Sébastien Benedetto : 30% viennent de la région Paca, 30% de la région parisienne, et le reste de toutes les autres. Cette année, dans ce public régional, on a eu vraiment les aficionados du théâtre, ceux que j’appelle les spectateurs pros, qui voient quatre à cinq spectacles dans la journée. En revanche, ceux qui faisaient l’aller-retour dans la journée, par exemple de Marseille, pour voir un ou deux spectacles, sont moins venus cette année.
Ce qui explique le vide que l’on ressent dans la ville depuis l’ouverture du festival !
Sébastien Benedetto : Il y a 500 spectacles en moins ! Ce qui veut dire qu’il y a des comédiens en moins dans la ville ! Mais au cœur du Festival, il y a eu de belles soirées. Place des Carmes, c’était tellement rempli qu’il était difficile de trouver une table pour dîner. Mais il est vrai que c’était un peu bizarre dans la ville. On n’a pas trop vu l’affluence habituelle rue des Teinturiers. Dans mon théâtre, il y a eu des pièces qui ont bien marché, d’autres moins bien. Mais cela aurait été la même chose en 2020, car c’est la loi d’Avignon et du spectacle ! Globalement, j’en tire la réflexion qu’on a bien fait de faire ce festival, même si on a bien souffert avant et pendant aussi.
Pourquoi le passe-sanitaire, qui n’est pas obligatoire avant le 1er août, l’est devenu dès le 21 juillet pour les lieux de culture, qui on le sait, n’ont jamais été des clusters ?
Sébastien Benedetto : Parce que la loi était déjà en place pour les jauges de plus de mille personnes. Il était donc plus simple de passer les ERP (Établissement Recevant du Public) à la jauge de 50. Le dispositif était là. Les pouvoirs publics nous ont expliqué que pour les autres lieux, comme les restaurants, les bars, le train…, il fallait remettre un dispositif en place, le voter. Au final, nous sommes encore en première ligne. C’est un peu dur à avaler.
Des aides vont-être mises en place, j’imagine ?
Sébastien Benedetto : Oui, il va y avoir une compensation-billetterie. Ils vont faire la moyenne des représentations avant le 21 et celle d’après, puis compenser le manque. Tout le monde y a droit, toutes les compagnies. Bien sûr, la dernière semaine connait toujours une baisse. Parce qu’on sait très bien, parce que ce n’est pas une année facile, le Ministère a jugé que cela ferait une double compensation. Quelques personnes regrettent que l’on ne se soit pas battu au niveau du passe, mais pour moi AF&C n’était pas l’endroit. C’est celui d’un théâtre ou d’un syndicat. En revanche, on a contacté le Ministère pour savoir ce que l’on pouvait faire et nous avons négocié cette compensation. Pour moi, nous avons été à l’endroit où nous devions être, à savoir celui de l’accompagnement des compagnies.
Pour cette dernière semaine vous mettez en place des opérations ?
Sébastien Benedetto : Il y a une carte d’abonnement achetée, une carte offerte pour les habitants de la région sud. Pour les jeunes, elle sera à 1 € à la place de 9 € et après la carte pour tout le monde à 10 € à la place du 16 €.
Les jeunes, qui m’ont semblé moins présents cette année dans les festivals, reprochent au festival d’être cher !
Sébastien Benedetto : Effectivement quand on enchaîne les spectacles, même si les prix ne sont pas excessifs, cela reste cher. Il y a un travail à faire nous en sommes conscients et on y réfléchit. Cela serait peut-être un prix unique avec la carte… Cette année, les jeunes étaient quand même là. J’en ai vu passer aux Carmes, notamment au spectacle Yourte. Ceci dit la grande diversité des propositions du OFF permet aussi d’avoir une jeunesse et une diversité des publics.
C’est aussi ça le Off la diversité de ses propositions artistiques et des spectateurs…
Sébastien Benedetto : Il y a des moments où je me demande si c’est bien notre endroit d’être artistiquement associé à des choses si différentes ! Mais finalement, c’est l’ADN du Off. Si on commence à régulariser cela, ce n’est plus le Off. On doit préserver cette diversité quoiqu’il arrive. Et puis qui dit que dans dix ans, ce ne sera pas nous les parias du Off ? La régularisation ne doit pas se faire artistiquement mais économiquement et en terme d’accueil des compagnies…
C’est de ce désir de faire du théâtre autrement qui a poussé votre père, André Benedetto à initier ce qui est devenu le Off…
Sébastien Benedetto : Au début, ils se sont faits insultés dans la rue. Oser jouer en même temps que Jean Vilar ! Comme quoi, la polémique a commencé très tôt ! Mais il a joué, sans réserve, sans rien, parce qu’il avait envie. C’est la chose que l’on doit préserver du Off. Il y a des dérives maintenant, le Off a tellement grossi qu’il faut faire quelque chose. Mais en tous cas, la liberté artistique de créer, de jouer, doit être toujours présente.
Aujourd’hui, on parle presque plus de marché que de festival !
Sébastien Benedetto : Pour qu’il y ait autant de spectacles et de gens qui viennent, il faut qu’il y ait un modèle économique. Cela repose sur la vente des spectacles. Sinon les compagnies ne viendraient pas perdre de l’argent. C’est l’autre pendant. Le but est de faire tourner le spectacle, donc de le vendre. Ce modèle économique fait partie d’Avignon. Il est là, il existe et marche plus ou moins bien. Notre mission est de trouver les moyens pour que les artistes ne soient pas accueillis dans des conditions déplorables, d’éviter qu’ils ne payent trop cher la location de leur salle… Si on arrive à faire baisser le nombre de créneaux dans les salles en accompagnant les théâtres, il y aurait moins de spectacles comme cette année et un meilleur confort pour toutes et tous, artistes comme publics
Ce qui était je l’avoue assez agréable !
Sébastien Benedetto : C’était plus raisonné et raisonnable, plus tranquille pour les équipes techniques, comme pour les spectateurs. On avait le temps de faire rentrer les gens, de ne pas stopper les applaudissements parce qu’il faut faire entrer le spectacle suivant. Aux Carmes, d’habitude il y a sept créneaux et au moins une demi-heure entre. Cette année, nous sommes descendus à cinq. Les compagnies ont eu le temps de se mettre en condition de jeu. Tout le monde y gagne, surtout la qualité artistique. Cette année le ministère de la culture va aider les théâtres en difficulté. Après on verra si effectivement ce modèle-là, avec moins de créneaux, tient économiquement où s’il a besoin d’un accompagnement.
C’est peut-être un peu tôt, et hormis les surprises de l’amie Covid, comment se dessine l’édition de 2022 ?
Sébastien Benedetto : Je pense que la manière dont on a organisé, cette année, les créneaux, avec plus d’espaces, doit nous servir d’exemple. Comment mettre en place cela ? Comment accueillir les artistes aux mieux ? Ça je ne le sais pas encore. En tout cas, je sais que le Ministère est prêt à venir nous aider.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Festival d’Avignon le Off – AF&C
Théâtre des Carmes
Crédit photos © Thomas O’Brien et Jean-Baptiste Lumeau