Au Festival d’Avignon, le hongrois Kornél Mundruczó adapte le drame contemporain de sa compatriote Kata Wéber, Cząstki Kobiety – Une Femme en Pièces. Dirigeant au cordeau les comédiens du TR Warszawa, il signe une œuvre douloureuse, lucide, qui prend aux tripes, secoue et met K.O. Du grand art sur la banalité du quotidien !
La rumeur court dans tout Avignon, attention, ce spectacle sent le soufre. Loin des bons sentiments qui ont dominé le début de cette 75e édition, l’œuvre de Kata Wéber, créée en 2018 à Varsovie, qui a donné naissance à un film produit par Martin Scorsese et présenté à la Mostra de Venise en 2020 avant d’être diffusé sur Netflix, ne cherche à pas à édulcorer la réalité, à la diluer dans une fable, un surcroit d’émotion, un décorum. Le drame de cette jeune mère, qui doit vivre avec la perte de son enfant, mort-né, auquel nous convie le metteur en scène Kornél Mundruczó a tout de réel. Aucun filtre ne vient en amoindrir la portée.
Accouchement en direct
Maja (irradiante Justyna Wasilewska) est une jeune polonaise sans histoire, qui a fait le serment à son futur enfant, qu’il naîtrait à la maison, quoi qu’il arrive. Enceinte jusqu’au bout des ongles, elle est sur le point d’accoucher. Son compagnon Lars, un peu perdu, tente de la rassurer. Les premières contractions se font sentir, la sage-femme n’est toujours pas là. L’angoisse monte d’un cran. Filmé en « live »au plus près du corps de la future mère, les vingt-sept minutes de cinéma qui servent de prologue sont d’un grand hyperréalisme. Les spectateurs vivent en direct le drame à venir, jusqu’au malaise pour certains, jusqu’à l’écœurement pour d’autres. C’est tout simplement dérangeant, déroutant et prenant.
De l’éclatant théâtre
À chaque représentation, la funeste tragédie recommence, toujours aussi prégnante. L’enfant meurt, faute à pas de chance, à un mauvais karma, à une échographie pas faite, à un manque d’expériences de la sage-femme, qui sait ? Nul ne peut répondre à cette question. Pourtant, six mois plus tard, quand l’écran se lève, que derrière les panneaux blancs, enlevés à vue, le spectateur entre enfin dans l’intimité de cette famille, dans l’intérieur d’une maison aux tapisseries vieillottes, aux animaux empaillés maison, etc. Autour de la mère de Maja, ses filles très différentes l’une de l’autre, ses gendres avinés, une nièce arriviste, se rassemblent pour un déjeuner dominical, sorte de Festen polonais. Le théâtre commence vraiment, il sera saignant comme le canard qui, dans le four, ne veut pas cuire.
Règlement de compte et petites histoires
De sa plume sans fioriture, proche du parler, Kata Wéber invite à pénétrer le quotidien de ces gens, leurs petits arrangements avec la vérité, leurs rancœurs, leurs désaccords. En témoin privilégié, le public semble être à table, se saouler à la vodka, participer aux vertes conversations, aux rares moments de connivence qui unissent malgré tout ces êtres très disparates. Par touches imperceptibles, la magie opère, la pièce attrape, saisit, ensorcèle. Comme happé par la banalité des échanges, le théâtre fait sens. C’est une évidence, la mise en scène hyperréaliste de Kornél Mundruczó fait date. Elle entrera dans les grands moments de cette 75e édition.
Une Pologne enfermée dans un catholicisme fanatique
À travers l’histoire de Maja, l’autrice et le metteur en scène font le portrait sans concession d’une Pologne qui s’enferre dans un fanatisme religieux et mortifère. Subversive, lucide et radicale, l’œuvre de Kata Wéber et de Kornél Mundruczó est une expérience de plateau qui rappelle le travail d’Alexander Zeldin. Porté par le jeu puissant, habité, et tellement réel, des comédiens, le spectacle prend à la gorge, aux tripes. Instants de vie qui passent, qui ne résolvent rien, qui font juste état d’un drame, d’existences errantes dans un monde brutal et sexiste, Cząstki Kobiety – Une Femme en Pièces frappe fort, ébranle toutes les certitudes, secoue les festivaliers jusqu’à la moelle !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Cząstki Kobiety – Une Femme en Pièces de Kata Wéber
Festival d’Avignon
Gymnase du Lycée Aubanel
14 rue de la Phalapharnie
84000 Avignon
Jusqu’au 25 juillet 2021
Durée 2h20
En tournée
Du 2 au 4 septembre 2021 à Athènes – Athens & Epidaurus Festival (Ελληνικό Φεστιβάλ)
Du 17 au 19 septembre 2021 à Rome – Romaeuropa Festival
Le 27 septembre 2021 à Vilnius – Vilnius International Theatre Festival Sirenos
Du 13 au 14 novembre 2021 à Hamburg – Thalia Theater – Hamburg
Avec Dobromir Dymecki, Monika Frajczyk, Magdalena Kuta, Sebastian Pawlak, Marta Scislowicz,Justyna Wasilewska, Agnieszka Zulewska
Et Łukasz Jara, Łukasz Winkowski (camera and sound on stage)
Texte et adaptation de Kata Wéber
Traduction du hongrois de Jolanta Jarmolowicz
Mise en scène de Kornél Mundruczó
Dramaturgie de Soma Boronkay
Musique de Asher Goldschmidt
Scénographie, costumes de Monika Pormale
Lumière de Paulina Góral
Assistanat à la mise en scène Karolina Gebska
Assistante scénographie, responsable de production Karolina Pająk
Assistante costume : Małgorzata Nowakowska
Traduction simultanée Patrycja Paszt
Traduction en français Cécile Bocianowski
Traduction en anglais Artur Zapałowski
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage