Isabelle Huppert dans La cerisaie d'Anton Tchekhov. mise en scène de Tiago Rodrigues  © Christophe Raynaud de Lage

À Avignon, une Cerisaie en quête de souffle

Au palais des Papes, Tiago Rodrigues, futur directeur du Festival d’Avignon, met en scène Isabelle Huppert dans la Cerisaie de Tchekhov.

Dans la cour d’honneur du palais des Papes, Tiago Rodrigues, fraîchement nommé à la tête du Festival d’Avignon, met en scène Isabelle Huppert dans la Cerisaie de Tchékhov. Artiste de l’intime, le metteur en scène portugais déploie avec douceur la fresque familiale du dramaturge russe, sans pourtant insuffler une belle mélancolie, une délicate émotion dans cet espace trop grand. 

Sur le parvis du Palais des Papes, une longue file s’allonge de minute en minute. Cette année, plus que toutes autres, le protocole sanitaire est venu renforcer les mesures de sécurité. Afin d’éviter tout souci et de faciliter la vérification du « pass » sanitaire à jour, toutes les entrées ont été condamnées, un seul passage a été conservé. Chacun prend donc son mal en patience. Dans le calme, les tous nouveaux gradins, inaugurés le matin même par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, se remplissent petit à petit. Il faudra presque deux heures – soit une belle demi-heure de retard – , pour qu’enfin, les fameuses trompettes, inspirées par les fanfares de Lorenzaccio composées par Maurice Jarre, retentissent dans la cour d’honneur et donnent le signal d’envoi de cette 75e édition du festival d’Avignon. 

Des chaises à perte de vue 
Isabelle Huppert dans La cerisaie d'Anton Tchekhov. mise en scène de Tiago Rodrigues  © Christophe Raynaud de Lage

Sur l’immense scène, montée pour l’occasion, au pied des murs de pierres jaunies par le temps, une forêt de chaises parfaitement alignées a été installée. Elle figure la Cerisaie de Lioubov Andréïevna Ranevskaïa (vaporeuse Isabelle Huppert, pour la première fois dans un Tchekhov), mais aussi les pièces, les meubles de la datcha familiale décrépie par le temps. Depuis qu’elle est partie en France, pour tenter de surmonter la mort de son jeune fils, qui s’est noyé dans le lac voisin, le domaine est à l’abandon. Une dernière fois, accompagnée de ses deux filles (irradiante Océane Cairatry et lumineuse Alison Valence) et d’un aéropage d’amis et de serviteurs, elle vient passer un été nostalgique sur les terres de son enfance, avant que tout soit vendu aux enchères pour éponger les dettes qu’elle accumule depuis des années. 

Une générosité dispendieuse

Profondément éthérée, Lioubov, véritable incarnation de cette âme russe, de ce spleen slave, donne sans compter, emprunte à tour de bras, vit sur l’illusion de sa jeunesse éternelle, de sa richesse passée. Elle est l’archétype de cette noblesse désargentée, qui refuse de voir que le monde change, qu’elle est déjà du passé. Face à elle, Lopakhine (épatant Adama Diop), fils d’anciens serfs du domaine, représente l’avenir, celui de l’entreprenariat. Attaché à la famille de Lioubov, plus ou moins amoureux de sa fille ainée, il a les moyens de sauver le domaine. En vain, la belle propriétaire, refusant de sacrifier sa cerisaie pour construire des bungalows destinés à la nouvelle force vive de la Russie, se laisse couler à pic, entraînant toute la maisonnée dans son sillage. 

Entre nostalgie et mélancolie
Adama Diop dans La cerisaie d'Anton Tchekhov. mise en scène de Tiago Rodrigues  © Christophe Raynaud de Lage

De son regard doux, tendre, profondément humain, Tiago Rodrigues s’empare joliment de cette comédie en quatre actes de Tchekhov, celle qu’il a écrite avant de décéder à l’âge de 44 ans. Il l’ancre dans un ailleurs intemporel qui s’accorde parfaitement avec l’œuvre de l’auteur russe, avec cette délicieuse mélancolie que sa plume distille au fil de ses pièces. Creusant le rapport aux autres, jouant sur la connivence qui s’est créée entre les comédiens au fil des répétitions, le metteur en scène de l’intime en oublie presque la dimension de la cour. Perdu dans cette immensité, le spectacle ne trouve qu’à de rares mais belles occasions un souffle vital, une émotion tenue, un lamento troublant. 

Porté par des comédiens habités, une jolie scénographie, La Cerisaie de Tiago Rodrigues ne trouve pas son rythme, fleurit gracieusement sans pour autant emporter. Il reste à espérer qu’au fil des représentations, qu’un autre lieu, donne la sève suffisante pour qu’enfin la flamme douce-amère de Tchékhov se réveille.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore  – Envoyé spécial à Avignon 

La Cerisaie d’Anton Tchekhov
Festival d’Avignon 
Cour d’Honneur du Palais des Papes
84000 Avignon
Jusqu’au 17 juillet 2021
Durée 2h20

Mise en scène de Tiago Rodrigues assisté Ilyas Mettioui
Avec Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Cairaty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence 
Et Manuela Azevedo, Hélder Gonçalves (musiciens)
Traduction d’André Markowicz et de Françoise Morvan
Traduction en anglais pour le surtitrage – Panthéa
Collaboration artistique – Magda Bizarro
Scénographie de Fernando Ribeiro
Lumière de Nuno Meira
Costumes de José António Tenente
Maquillage, coiffure – Sylvie Cailler, Jocelyne Milazzo
Musique d’Hélder Goncalves (composition), Tiago Rodrigues (paroles)
Son de Pedro Costa

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

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