À l’Opéra-Comédie, Montpellier Danse invite Sharon Eyal et son complice Gai Behar à présenter leur dernière création. Prévu, déjà au programme de la 40e édition qui fut annulée en 2020 pour cause de pandémie, Chapter 3 est un voyage envoûtant, une odyssée hypnotique des corps bercés par des musiques néo-tropicales « so fities ». Une gourmandise sensuelle, une balade magnétique.
En ce début de mois de juillet, les températures grimpent rapidement. Sur le parvis de la place de la Comédie, les groupes se forment, discutent, commentent les spectacles vus la veille, ou juste avant. Chacun y va de son petit mot, de son coup de cœur. La joie de se retrouver est palpable. Malgré la sonnerie qui rappelle le début du spectacle, le public tarde à entrer. Le bonheur de ne plus porter de masque est un plaisir indicible, qu’on aime à prolonger. Une dernière goulée d’air avant de pénétrer dans l’édifice construit par l’architecte Jacques-Philippe Mareschal, à peine le temps de rejoindre sa place, que la salle plonge dans le noir.
À corps que veux-tu ?
Les premières notes résonnent sous la coupole peinte par l’artiste marseillais Jean-Baptiste Arnaud-Durbec. Elles convient à un voyage dans le temps au cœur des années 1950, à un songe d’une nuit d’été sous les tropiques. Portant des secondes peaux tatouées, imaginées par la styliste Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la maison Dior, les huit danseurs, lointains cousins des marins de Jean-Paul Gaultier, ondulent sur scène, se déhanchent imperceptiblement. À peine esquissé, le mouvement de balancier de ces corps musculeux, de ces silhouettes parfaitement moulées, magnétise, hypnotise. Montpellier semble bien loin, La Havane si proche.
Cœurs meurtris
Sur le poitrail de chaque interprète, un cœur rouge vif bat la mesure, palpite un peu plus à chaque beat, à chaque envolée musicale. Il semble se déchirer, puis se rapiécer. Petit à petit, les corps se rapprochent, se touchent, s’entremêlent, l’un soutenant l’autre. Un instant, l’amour flotte dans l’air, puis l’image se dissipe. Pas de deux, danses de groupe, le jeu de la passion déploie toute sa palette sur scène. L’unisson bien sûr, tout d’abord, puis un léger décalage dans le mouvement. La machine déraille. La rupture est inéluctable.
Une immense fresque
Ciselant l’espace, les lumières d’Alon Cohen magnifient les corps de Leo Lerus, Clyde Emmanuel Archer, Gon Biran, Keren Lurie Pardes, Daniel Norgren Jensen, Rebecca Hytting, Darren Devaney, Alice Godfrey, Guido Dutih, ainsi que la belle et fluide écriture de la chorégraphe israélienne et de son complice Gai Behar. Nourrie par le travail d’Ohad Naharin, Sharon Eyal, qui a été danseuse plus de 17 ans à la Batsheva, s’émancipe de son maître pour esquisser des enchaînements de mouvements, des danses de groupe, qui tendent tous vers un point de rupture imperceptible, imaginaire. Jouant sur la fragilité des gestes, des unions corporelles, elle signe une œuvre noire autant que lumineuse, où tout est tragique volupté, sombre beauté.
Un enchantement des sens
Pris dans les rets de ces sirènes des temps modernes, où le genre n’a plus d’importance, le public hypnotisé se laisse porter vers un ailleurs charnel et sensuel. Au fil du spectacle, la température n’a cessé de monter. Corps bouillonnant, esprits en ébullition, c’est debout que la salle acclame les danseurs, qui une heure durant nous ont proposé de rêver avec eux aux démons de l’amour, aux ravages jouissifs de la passion. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Chapter 3: The Brutal Journey of the Heart de Sharon Eyal & Gai Behar
Montpellier Danse
Opéra-Comédie de Montpellier
Place de la Comédie
34000 Montpellier
Jusqu’au 4 juillet 2021
durée 1h00 environ
Chorégraphie de Sharon Eyal & Gai Behar
Musique de Ori Lichtik
Costumes de Maria Grazia Chiuri – Christian Dior Couture
Lumière d’Alon Cohen
avec Leo Lerus, Clyde Emmanuel Archer, Gon Biran, Keren Lurie Pardes, Daniel Norgren Jensen, Rebecca Hytting, Darren Devaney, Alice Godfrey, Guido Dutih
Directeur des répétitions – Leo Lerus
Crédit photos © Stefan Dotter