Nommée en 2019 à la direction du Théâtre de L’Odyssée et du Festival Mimos, Nathalie Elain, n’a pu, en raison de la pandémie, présenter sa programmation et sa saison en 2020. Cet été, Périgueux peut, grâce à la réouverture des lieux de culture et une amélioration significative des conditions sanitaires, présenter la 38e édition de son célèbre festival des arts du geste, du 7 au 10 juillet.
Déplacer le festival au début du mois de juillet, c’est un choix ?
Nathalie Elain : Assumé, même si l’on rentre dans la même période que le début du Festival d’Avignon. Pour moi, il y avait, à plein d’égards, une nécessité de repositionner ce festival plus en amont du mois de juillet. La première raison est climatique ! Ce festival a été pensé, il y a 40 ans, or aujourd’hui, on est clairement dans le cadre de changement climatique. Les chaleurs sont de plus en plus élevées en Dordogne à cette période de l’année. C’est aussi une manière de dire : non, on ne peut plus faire comme avant. Le festival est mené par une équipe qui porte la saison du Théâtre de L’odyssée. En termes de gestion d’énergie, il était aussi plus organique de travailler dans cette temporalité-là. La troisième raison est le désir de l’ancrer davantage dans la ville. C’est une manière de dire aux Périgourdins : voilà, l’école est finie, les spectacles commencent, ils sont dans la rue et dans les salles. Il y a aussi cette envie-là qui est de dire, que de la même manière que Charleville-Mézières est la capitale de la marionnette, Angoulême celle de la bande-dessinée, Périgueux, est la ville du mime et des arts du geste. Pour cela, il faut vraiment l’ancrer dans la ville et donc, de la repositionner.
Pour que cela ne soit pas un Festival uniquement pensé pour les touristes, mais un rendez-vous pour tous ?
Nathalie Elain : C’est ça. Un festival pour ses habitants, parce que c’est un travail qu’on mène, avec le théâtre de L’Odyssée, aussi toute l’année, sur les arts du geste. C’est un travail de continuité. Cela fait sens aussi avec le projet de scène conventionnée labellisée sur les arts du geste que je suis en train d’écrire. Il y a cette dimension de donner plus de place à la recherche. On est en train de développer un partenariat avec l’université de Bordeaux, entre autres. Avant, j’étais à la direction des études de l’école de la marionnette à Charleville-Mézières, et pour moi la création, la formation, la recherche sont très liées. Je pense que cela se traduit dans le festival et apparaît dans la programmation. En tout cas, cela va s’affirmer forcément au fil du temps.
Le situer au moment où le festival d’Avignon démarre ne vous fait-il pas peur ?
Nathalie Elain : Festival d’Avignon certes, mais début du festival ! Comme il y a une volonté de donner plus de place à la création, j’assume et je fais le pari, que les professionnels finiront par avoir envie de faire un crochet par Mimos pour découvrir des créations dans des conditions plus favorables. Et puis il faut des alternatives à Avignon. Juillet est évidemment une bonne période pour les professionnels. On assume le fait d’être un festival qui est basé sur une esthétique particulière. Je ne parlerais pas de niches, car cela recouvre tellement de dimensions des écritures scéniques aujourd’hui, mais en tout cas, nous sommes sur un secteur et un champ esthétique assez définis. Je fais le pari que dans pas longtemps, le début du mois juillet sera incontournable à Périgueux.
Le festival est rattaché au Théâtre de l’Odyssée, que vous dirigez également.
Nathalie Elain : Le festival a été rattaché au théâtre depuis de très longues années, avant c’était une direction artistique indépendante. Bien sûr, c’est énorme ce que cela veut dire en termes de programmation, de disponibilité, d’expertise, de veille artistique. Je gère la saison et le festival, avec une équipe qui ne s’est pas agrandie.
Comment fait-on vivre un théâtre plus un festival ?
Nathalie Elain : En affirmant cela, Périgueux, ville des arts du geste, en ancrant la programmation du théâtre sur ces esthétiques là et en développant des projets aussi de formation, de médiation autour de la question des arts du geste. Pour moi, les deux projets n’en forment finalement qu’un seul. La période du festival doit devenir l’espace de la création, des prises de risque, des audaces, qui puissent être comprises, supportées, accompagnées par un public qui a été sensibilisé toute l’année. Ce qui permet de pouvoir prendre plus de risque.
Donc, à l’année vous proposez des spectacles sur les arts du geste ?
Nathalie Elain : Les arts du geste, car cela veut tout dire ; et quand on a dit ça, on a tout dit et rien dit ! Je fais entrer dans le champ des esthétismes des arts du geste : un théâtre non texto centré avec la dimension physique de l’acteur comme élément du langage scénique, mais c’est aussi la danse quand elle est théâtralisée. Cela nous fait un grand champ. Pour les références classiques Philippe Genty, Pina Bausch, Maguy Marin, évidement, Josef Nadj, et en théâtre le Munstrum qui fait partie de cette famille-là, les Castellucci, les Gisèle Vienne, pour les grands noms, les repères. Il y a des écritures qui s’affirment dans ce sens-là, aujourd’hui. Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, que l’on reçoit à Mimos, sont dans cette écriture physique. Il y a un malentendu lorsque l’on parle du mime, mimos-mime. Le mime ce n’est pas un acteur silencieux forcément, c’est en tous cas un acteur qui ne met pas le texte au centre de son action. Cela offre d’autres théâtralités qui me semblent passionnantes à regarder. A travers plein de disciplines et de langages, comme les écritures de la marionnette, évidemment, le théâtre, la danse, on traverse finalement un champ très large.
Il y aura plus de propositions en salle…
Nathalie Elain : Mon expérience m’amène à une lecture de ce qui se passe en salle, plus que dans l’espace public et cela va se traduire sur Mimos. C’est pour cela qu’il y a plus de propositions en boite noire, où en tout cas avec un cadre, que ce qu’il y avait avant. Je revendique peut-être d’être sur une lecture un peu moins animatoire du festival Mimos, comme il a pu le devenir ces dernières années, même si j’ai conscience que c’est important. L’extérieur, cela met la ville en fête ! Et on a besoin de ça. Comme nous sommes le seul festival de cette envergure à veiller sur ce type d’esthétisme particulièrement, il y a un devoir de prise de risques sur des créations, des expériences.
Comment avez-vous pensé cette programmation, qui après l’annulation de l’année passée, devient finalement votre première édition ?
Nathalie Elain : C’est la deuxième 38e édition ! J’ai décidé de partir d’une page blanche. Il n’y a pas de reprogrammation, parce que c’était difficile à mettre en place. C’était aussi l’envie de prendre le temps de sentir ce qu’on allait pouvoir faire ; on l’a pensé dans un cadre normal, de continuité. La 38e version 2, la fièvre monte, il fallait attendre la rentrée, ce que l’on allait pouvoir faire, dans quelle mesure il allait falloir s’adapter etc. Donc j’ai attendu, j’ai fait attendre les équipes. Cela a été inconfortable. Quand je prenais contact avec des artistes pressentis, il y avait beaucoup d’incertitudes, de difficultés à se projeter pour tout le monde. Cette édition a été longue à faire naître. Ce qui a structuré les choses fût la décision prise avec le préfet de se dire qu’il était plus raisonnable de partir sur une édition en plein air, quasi uniquement au départ. Cela a déterminé des choses. Et après, il y avait des spectacles coup de cœur que j’étais sûre de voir à Mimos cette année, notamment le Piergiorgio Milano avec White Out, qui réunit un peu tout ce que je sens d’intéressant aujourd’hui sur la scène des arts du geste. C’est un artiste plein d’inventivité, qui fait du bien, donnant vitalité à des écritures théâtre-visuel, théâtre-physique, dans le sillage des Castellucci, des Pipo Delbono, Pina Bausch. Il y a la dimension spectaculaire dans le sens qu’il y a un niveau physique et une technicité qui emporte tout le monde, qui est très fédératrice, une écriture qui n’est pas du tout narrative, qui est très maligne, une qualité plastique de la composition qui fait pour moi que c’est une proposition qui emporte tout le monde. Ça, c’est assez réjouissant.
Le public est composé de nombreux goûts, de diversité, comment l’amener à aller à la découverte des spectacles, eux même très variés dans leurs propositions ?
Nathalie Elain : L’exercice du festival c’est de se dire qu’on présente Piergiorgio Milano mais aussi la Cie Chaliwaté, qui est complètement dans une autre écriture presque artisanale d’un savoir-faire technique sur les questions de la manipulation, aussi bien du théâtre d’objets, que de la marionnette, du théâtre noir, du masque, avec lesquels, ils composent d’une manière virtuose. Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan qui sont dans l’économie carton pour cette proposition-là, à poil avec du carton sur lequel on écrit le nom de l’objet. Un théâtre pauvre et dépouillé, burlesque, grossier et raffiné. Avec Ludor Citrik et sa reprise de Qui sommes-je ? Un spectacle de son répertoire qui a beaucoup tourné mais qui là est re-créé avec un nouveau comédien, avec des choses à dire sur la question de ce que font les cadres à nos corps et à nos esprits, suite à ce que l’on vient de traverser. Il y a des voyages esthétiques et des théâtralités assez intenses à faire. C’est une autre image que j’ai envie de proposer pour le festival. Nous ne sommes pas dans un lieu d’expertise du mime, c’est au contraire un endroit où l’on se pose la question de ce que c’est, de comprendre comment il traverse les écritures aujourd’hui et de confronter les points de vue. Ce n’est pas la messe. J’espère que cela sera un endroit polémique où l’on viendra à ne pas être d’accord et parler, échanger sur ce que l’on voit. Pour moi, cela voudrait dire que cela marche, sans aller chercher le scandale pour le scandale.
Les Périgourdins ont une grande histoire d’amour avec leur festival ! Sont-ils curieux de tout, des audaces que vous allez leur proposer ?
Ça, je vais savoir ça le 10 juillet, à la fin du festival. Pour moi, puisqu’ il n’y a pas eu de saison théâtrale cette année, c’est vraiment ma première rencontre avec le public depuis mon arrivée. Au moment où le festival va être délivré, ce sera ma rencontre avec cette ville. Je me fie à la responsable de la billetterie qui me dit que ça prend bien. C’est un baromètre. Ils ont été privés de spectacle à cause de la crise ! Mimos est de l’ordre du patrimoine dans l’histoire de cette ville. D’où le sens pour moi de me dire qu’il faut accentuer ça, travailler et en faire aussi un objet d’identité dans le sens de se cultiver ou de développer une richesse. Il y a un terreau qui a pris sur cette terre et c’est important de le valoriser et de le faire grandir !
Marie-Céline Nivière
Mimos, festival international de l’art du mime et du geste
38e édition
Périgueux 24000
Du 7 au 10 juillet 2021
Crédit photos © Francis Aviet, © Xavier Cantat, © Camille Dorman, © Yves Kerstuis, © Darek Szuster, © Andrea Macchia, © Claude Simon et © Rui Henriques