Au festival de Montpellier Danse, Thomas Lebrun fait sensation. Portée par 15 danseurs et 5 artistes invités, de tout corps de tout âge, sa dernière création célèbre en un geste magistral, parfaitement maîtrisé, ciselé, les vingt ans de sa compagnie. En immergeant le public de l’Opéra-Comédie dans une ambiance sonore très éclectique, très baroque, très pop, le directeur du CCN de Tours invite à Mille et une danses.
Place de l’Œuf, sur le parvis de la Comédie, il y a la foule des grands jours. Ce soir Thomas Lebrun fête vingt ans de création. C’est dire que l’événement est d’importance. À l’intérieur, petit à petit, la salle se remplit, l’excitation monte. En laissant un siège sur deux libre, en raison des conditions sanitaires, le public investit l’espace. Les brouhahas des conservations font vibrer les murs, (re)donnent vie au lieu qui sort lentement d’un coma de plus de sept mois. Les regards joyeux, les sourires masqués, font plaisir à voir. Enfin, l’obscurité gagne la salle. Le noir se fait.
Invitation à la danse
Le rideau s’ouvre sur une scène nue. Habillée de noir, la chorégraphe montpelliéraine, Jackie Taffanel, première des cinq invités qui vont émailler de leur présence clin d’œil le spectacle, ouvre le bal. Dans le silence, elle esquisse quelques mouvements, semble invoquer quelques divinités de danse par un rituel ultra-codé, ultra-chorégraphié, avant d’inviter les quinze interprètes de Thomas Lebrun – dont il fait partie – à la rejoindre au plateau. C’est le début d’un voyage à travers le temps, l’espace et la musique. Avec une précision, une minutie, un esthétisme tirant à l’épure, le directeur du CCN de Tours entraîne sa troupe au cœur de son écriture de ce qu’elle a de sensible, de rond, de parfaitement maîtrisé, pour mieux offrir à chacun, chacune, un terrain de liberté, d’expression corporelle.
Six tableaux pour l’histoire
Enchaînant les airs opératiques, les standards pop, les sons rocks, tous remixés par Maxime Fabre et l’un des danseurs fétiches du chorégraphe, Yohann Têté, Mille et une danses (pour 2021) a tout de l’épopée chorégraphique. En six tableaux successifs, Thomas Lebrun ébauche une sorte d’encyclopédie de danses, la sienne propre, qui emprunte autant à la danse classique, au contemporain, qu’aux danses traditionnelles ou transcendantales. De Rachmaninov à Purcell, en passant par Beethoven, Mozart, Debussy, Elvis Presley, Les Doors ou Alphaville – certainement l’apogée du spectacle – , c’est tout l’Opéra-comédie qui se met à vibrer, à battre du pied, emporté par la virtuosité des quinze interprètes, par la beauté des images qui se superposent les unes ou autres, presque deux heures durant.
Une pièce intergénérationnelle
Traversant vingt ans de création, Mille et une danses (pour 2021) est avant tout une célébration d’un art, mais aussi des corps et d’une histoire, celle d’un chorégraphe bien sûr, mais aussi celle de ses interprètes. Comme souvent, chez Thomas Lebrun, les âges, les silhouettes n’ont rien de standardisé. À la silhouette élancée de l’un répond celle trapue de l’autre. De cette dissonance naît une harmonie, un rêve plein d’espoir où la différence, la mixité, sont une richesse précieuse autant que nécessaire. Il en va de même pour les thématiques abordées, pour les langues chorégraphiques qui se conjuguent en un maelstrom extraordinaire où la diversité des registres ne semble faire plus qu’un.
Une ode à l’amour
Dépassant le genre, Thomas Lebrun signe avec cette dernière création, un immense, passionné et passionnel cri d’amour. Fabrice Ramalingom, autres invités de la soirée, embrasse langoureusement son compagnon, tandis que des couples s’aiment autant qu’ils se déchirent, que deux danseurs s’enlacent en une sensuelle et charnelle étreinte. Habillés de noir, d’argent, de paillettes ou de tee-shirt aux couleurs du Rainbow LGBTQTI, les quinze interprètes – Antoine Arbeit, Maxime Aubert, Julie Bougard, Caroline Boussard, Raphaël Cottin, Gladys Demba, Anne-Emmanuelle Deroo, Arthur Gautier, Akiko Kajihara, Thomas Lebrun, Cécile Loyer, José Meireles, Léa Scher, Veronique Teindas, Yohann Têté – , tous excellents, tous différents, s’en donnent à cœur joie tout en maîtrisant jusqu’au bout de leurs ongles chaque geste, chaque arabesque, chaque bras ou pied tendu.
Disons-le tout net, Mille et une danses (pour 2021) est une réussite, une vraie pièce de danse qui rend hommage à cet art, cette discipline du mouvement. Bien sûr, il faut encore resserrer, de-ci de-là, peaufiner quelques enchaînements, mais le principal est déjà là, sur scène, une fête chorégraphique, une odyssée dansée puissante, lumineuse et irradiante. Debout, le public ne s’y trompe pas. Il applaudit à tout rompre en communion avec les artistes émus, troublés, touchés. Une scène finale à la puissance festive et joyeuse.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Mille et une danses (pour 2021) de Thomas Lebrun
CCN de Tours
Montpellier Danse
Opéra-Comédie
Place de la Comédie
34000 Montpellier
Du 28 au 29 juin 2021
Du 6 et 9 avril 2022 à Chaillot-Théâtre national de la Danse.
Conception et chorégraphie : Thomas Lebrun
avec Antoine Arbeit, Maxime Aubert, Julie Bougard, Caroline Boussard, Raphaël Cottin, Gladys Demba, Anne-Emmanuelle Deroo, Arthur Gautier, Akiko Kajihara, Thomas Lebrun, Cécile Loyer, José Meireles, Léa Scher, Veronique Teindas, Yohann Têté et cinq personnes invitées
Création lumière : Françoise Michel
Création son : Maxime Fabre
Crédit photos © Frédéric Iovino