Jocelyne Desverchère © Hélène Bamberger

Jocelyne Desverchère, détonnante comédienne

Au théâtre de Sartrouville, sous le regard de Sylvain Maurice, Jocelyne Desverchère s'empare avec délice de la langue de Carver.

Épouvantable mégère, épouse décalée ou chanteuse envoûtante dans Short Stories d’après les nouvelles de Carver, mises en scène de Sylvain Maurice, à Sartrouville du 24 juin au 3 juillet 2021, Jocelyne Desverchère impose au plateau sa présence drôle autant que flamboyante. Jeu précis, virtuose, la comédienne a aussi le goût de l’écriture. Romancière, elle publie en 2020, son troisième livre, Insulaire chez P.O.L. Une artiste jusqu’au bout des ongles.

Short Stories De Carver. Mise en scène de Sylvian Maurice. Théâtre de Sartrouville. © Christophe Raynaud de Lage

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Le cirque, et moi regardant ma sœur aînée éclater de rire aux facéties des clowns.

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je me souviens d’avoir 15 ans et d’avoir éprouvé sur scène un sentiment, ce sentiment fort que ma place était là. Je ne m’étais jamais projetée auparavant dans l’envie de devenir comédienne.

Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Je n’ai jamais été une fan, je n’avais pas d’affiches d’acteur ou d’actrice dans ma chambre enfant ou adolescente, j’étais cinéphile, lisait beaucoup. Très jeune, à 12 ans, je chantais dans un chœur, j’étais la plus jeune, la majorité était retraitée… J’ai rêvé un moment de me lancer dans le chant lyrique et le chef de chœur m’a très vite découragée (probablement aussi, parce qu’il n’a pas décelé chez moi des facultés vocales hors norme) en me disant que c’était un métier difficile. J’habitais à la campagne, et dans la ville la plus proche, ils acceptaient dans les cours du théâtre municipal des élèves comédiens à partir de 15 ans.
Et quand j’ai joué en fin d’année la présentation de notre spectacle d’élèves aux parents et amis, l’attention des gens qui écoutent, les rires dans la salle, je me suis sentie bien, vivante !
Je me souviens aussi avoir regardé de nombreuses pièces les samedis après-midi à la télévision, de la Royal Shakespeare Compagny, assez ampoulées, mais la déclamation des acteurs, leurs costumes me fascinaient.
J’étais aussi au même âge très amoureuse du meilleur ami de ma correspondante allemande, un peu plus âgé que moi, il s’apprêtait à rentrer dans une école pour faire de la mise en scène, nous échangions sur nos lectures communes, il adorait Beckett, je ne comprenais pas grand chose à l’époque, faire du théâtre aussi peut-être pour le séduire …

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Théâtre municipal de Villefranche sur Saône, je joue un petit rôle dans une création d’une troupe lyonnaise sur la Révolution. Avant que les spectateurs n’arrivent, je suis sur scène camouflée dans le décor, le metteur en scène m’a demandé de ne surtout pas bouger. Le temps passe, les notables tardent à arriver, le temps dure … Je ne bouge pas… la lumière se fait et c’est à moi, je dois m’avancer sur une estrade dans le public, déclamer un texte de Victor Hugo, mes jambes sont complètement paralysées, je me lève, retombe, perd une chaussure sur scène, je rampe pour la récupérer, le metteur en scène alerte les pompiers, je les vois me faire des signes depuis la coulisse, je retourne en rampant toujours vers le public, retombe, me relève, dis mon texte comme je peux obnubilée surtout par mes jambes qui peu à peu me portent un peu plus. Le texte dit, je sors comme prévu par l’entrée public, accueillie par la directrice du lieu, je m’évanouis dans ses bras. Je vais jouer pendant dix jours avec une attelle, cheville foulée. Félicitée par les autres comédiens pour ma vaillance, par mes proches pour ma poupée désarticulée. Un vrai cauchemar !

Votre plus grand coup de cœur scénique – une pièce, une équipe, une personne, plusieurs personnes ?
Tous les spectacles de Joël Pommerat.

Insulaire de Jocelyne Desverchère. Editions P.O.L.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?
J’ai eu la chance de rencontrer par l’intermédiaire d’un ami Michel Vinaver. J’ai joué plus tard dans Portait d’une femme et nous sommes restés en lien pendant plusieurs années. Nos rendez-vous se passaient chez lui souvent de la façon suivante : après un échange à bâtons rompus sur le théâtre, nos lectures du moment, entourés par de nombreuses statuettes dans son salon, nous passions à la cuisine et déjeunions en tête-à-tête. Le déjeuner terminé, je partais rapidement. Sentiment d’un moment privilégié avec cet homme érudit d’une infinie délicatesse.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
C’est mon équilibre qui est essentiel à mon métier.

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Les gens, ma famille, mes amis, mes voisins, les animaux, les plantes, la photographie, le cinéma, la peinture, la boulangère de mon enfance, la littérature, le soleil, la pluie, la neige, la montagne, la mer, Sainte-Colombe.

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Paradoxal : apparaître, disparaître. Et cette impression que c’est toujours la première fois.

À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Au niveau du Tan Tien comme le dit mon Maître Zen.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Pléthore ! Je pourrais faire une liste longue comme d’ici à là-bas, l’autre, l’ailleurs.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Qui fasse rire beaucoup, pleurer beaucoup, peur beaucoup, rêver beaucoup, s’émerveiller.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Les variations Goldberg de J.S. Bach.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Short Stories d’après les nouvelles de Raymond Carver
Mise en scène de Sylvain Maurice
Répétions et filage au théâtre de Sartrouville

Crédit photos © Hélène Bamberger, © Christophe Raynaud de Lage

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