Mardi 31 mai, Romain Bouteille a tiré sa révérence à l’âge de 84 ans. Cet immense artiste, d’une jeunesse éternelle, aura marqué son époque, celle de la liberté, celle où tout était possible, comme la création du Café de la Gare. Nous perdons un comédien hors norme, un grand auteur, un homme de cœur. Son rire si particulier ne retentira plus et cela va cruellement nous manquer.
Pour la première fois, Romain Bouteille m’a fait verser des larmes qui n’étaient pas de rire. Je découvre sur Facebook, l’information postée par sa femme, la comédienne Saïda Churchill : « Ici, Romain et moi avons de nombreux vrais amis. Alors je vous l’annonce avec tristesse, car je sais combien vous l’aimez. Romain nous a quitté ce soir vers 22 h. Un vide vertigineux. 33 ans de vie avec lui. Merci de continuer à l’aimer. Il est parti tranquillement. » Et ce fameux : « oh, Non ! » s’est échappé de ma bouche. Un cri venu d’un cœur déchiré par la tristesse. Et les images de nos rencontres se sont bousculées dans ma tête ! Je ne rirai plus avec Romain. Je n’entendrai plus ces mots dits dans ce phrasé si particulier, fait de mots qui se bousculaient tant cela allait vite dans sa tête si bien faite. Je ne verrais plus ce regard si empreint de douceur qu’il posait sur les gens qu’il aimait.
Un autre temps
Je n’ai plus le souvenir de notre première rencontre. C’était au siècle dernier, peut-être pour les 30 ans du Café de la Gare, ou un peu avant. Ce dont je me souviens bien, c’est de mon émotion ! Il représentait pour moi une légende, celle de cette époque que je n’avais pas connue, mais qui me nourrissait quand même, celle de la création du Café de la Gare et du vent de folie créatif qui en était sorti. Pour les 40 ans de ce café-théâtre mythique, Sotha, interviewé pour le Pariscope, m’avait raconté que : Romain ramait tellement pour monter une pièce que sa seule envie était d’avoir un lieu pour ne jouer que ce que l’on écrivait, avec des gens qu’on aimait avoir en face de nous. La dernière fois que j’ai vu Romain, c’était, en juin 2019, pour les 50 ans du Café de la Gare. Une fête familiale et conviviale où le rire et la joie régnaient en maître. Romain était heureux et il n’y avait rien de plus beau que son sourire, qui gardait une part de l’enfance.
Un artiste hors-norme
Pour Coluche, il était le plus grand artiste du monde. « Ce qu’il ne m’a pas appris, je le lui ai piqué », disait-il en parlant de son ami. Romain était un Pierrot lunaire qui écrivait d’une plume remarquable des œuvres originales qui, si elles déroutaient certain, réjouissaient les autres. « Je suis un écho des choses qu’on n’a pas le droit de dire ». Ces textes étaient composés de répliques cinglantes mâtinées de philosophie et de poésie. « Faire un truc que les autres ne font pas, c’est déjà passer pour un original. Au moins, on n’encourt pas la comparaison ». Et oui, le style Bouteille ne ressemblait à aucun autre. Avec ses mots, ses jeux de mots, son sens de l’humour si fin, ses tournures de phrase, qui donnaient parfois l’impression d’un grand n’importe quoi, il faisait entendre dans une langue parfaite, ses pensées sur les étrangetés de ce monde et les dérèglements de la société. Je me souviens de son spectacle Misère intellectuelle et de mes grands éclats de rire ! Ce spectacle était un petit chef-d’œuvre fait de coups de gueule, de réflexions sur le théâtre, la société. Si son constat n’était pas optimiste, c’était loin d’être triste et c’était surtout fort intelligent. Au revoir Monsieur et merci pour tout !
Marie-Céline Nivière
Le Café de la Gare dont Romain Bouteille était le cofondateur
Crédit photos © DR et © Marc Comte Collection Armelle et Marc Enguerand