C’est le grand jour. Après des mois de report, de fermeture due à la pandémie de la Covid, la collection Pinault ouvre ses portes à la Bourse du Commerce entièrement repensée par l’architecte japonais Tadao Andō. Attention les yeux, de Raysse à Hammons, en passant par Kerry James Marshall, Antonio Oba ou Michel Orbiac, l’art plastique se décline sous toutes ses formes.
Tout beau, entièrement relooké et rénové, le bâtiment circulaire, conçu en 1763 par l’architecte Nicolas Le Camus de Mézières, puis remanié, suite à un incendie qui a ravagé la coupole, entre 1806 et 1811 par François-Joseph Bélanger et l’ingénieur François Brunet, a fière allure. Il se dresse tel un vestige du passé à la conquête des temps modernes, de la fameuse canopée des Halles. Après le prestigieux Palazzo Grassi (2006) et la sublime Pointe de la douane (2009), à Venise, la Bourse du Commerce devient le troisième lieu d’exposition pour la collection Pinault. Entièrement repensé par Tadao Andō, l’espace muséal, environ 7 000 m2 répartis en 10 galeries, joue avec les volumes, alterne entre intimité et prestige. L’ancienne Halles aux grains s’est muée après plusieurs années de travaux en un magnifique et somptueux écrin pour les œuvres d’art de l’octogénaire homme d’affaires.
Une immersion totale
Afin de ne pas polluer les lieux, de ne pas surcharger l’entrée et d’offrir aux visiteurs une balade totale au cœur de la collection ultra-contemporaine de François Pinault, billetterie et espaces d’accueil ont été installés à l’extérieur. Ainsi après les portes vitrées, les portiques de sécurité, le regard est immédiatement attiré par la rotonde, entièrement rhabillée d’un coffrage immaculé de béton – matière de prédilection de l’architecte japonais – , qui donne à l’espace néoclassique une élégance, sobre, folle. Reliée aux étages supérieurs par une série de passerelles, cette volute grise autant aérienne par sa courbe, qu’imposante par sa matière, invite à un cache-cache permanent avec les œuvres, rythmé tout au long de la journée par un jeu d’ombres et de lumières. Au centre de cet espace magistral, trône sous le ciel bleu de Paris, la réplique monumentale en cire d’Urs Fischer, de L’enlèvement des Sabines du Flamand Giambologna, une statue à son effigie de Rudolf Stingel, et un assemblage de chaises hétéroclites faites de cette même matière éphémère vouée à disparaître, à fondre au fil des dispositifs d’allumage inclus dans les sculptures.
Au plus près des œuvres
Après une monumentale toile de Raysse, qui ouvre le bal au rez-de-chaussée, la galerie 3, installée au premier étage, propose toute une série de photographies datant des années 1970 et 1980, qui questionnent entre autres, l’état du monde, nos sociétés, la place des femmes. De Michel Journiac à Martha Wilson, de Cindy Sherman à Sherrie Levin, c’est tout l’art de la mise en scène, du travestissement, du jeu de rôle qui s’affiche sur les murs blanc immaculé. C’est par l’œuvre sidérante et percutante de Louise Lawler, représentant les photos des 94 gobelets des sénateurs – dont celui de Joe Biden – ayant voté l’amendement Helms interdisant d’allouer des fonds à la prévention du VIH pour ne pas encourager l’homosexualité, que se conclut ce premier parcours.
La peinture contemporaine en majesté
Au deuxième étage, baigné de lumière extérieure, quatre galeries proposent de découvrir les différents courants de l’art pictural contemporain. On peut ainsi découvrir des œuvres figuratives de l’allemand Martin Kippenberger, mais aussi celles du New-Yorkais Florian Krewer. Déambulant, la démarche légère, le visiteur se laisse absorber par ce déluge de couleurs, ces visages absents, à peine esquissés ou grimaçants. Ensuite, vient trois immenses portraits de Rudolf Stingel. La balade prend un tout autre tournant, elle marque le pas devant les tableaux de l’américain Kerry James Marshall, de la londonienne d’origine ghanéenne Lynette Yiadom Boakye. Chacun à sa manière explore par la peinture, la négritude. Mouvements saisissant du pinceau, jeux de contrastes et de fondus, l’actualité est présente, prégnante dans chaque parcelle de toile. C’est fascinant de beauté.
Le Mythe Hammons
Après un passage dans les hauteurs de la bâtisse, où le restaurant la Halle aux grains s’est niché, avec vue imprenable sur les Halles et l’église Saint-Eustache, il est temps de se laisser happer par le clou du spectacle, la galerie entièrement consacrée à David Hammons, certainement l’un des principaux artistes actuels. C’est la première fois qu’un musée français, lui consacre un espace dédié le temps d’une exposition. Pensée comme une sorte de mini-rétrospective, la galerie présente une trentaine d’installations permettant de se faire une idée des différents courants qui traversent son œuvre depuis plus de trente ans. Des fusains aux chats naturalisés posés sur d’immenses djembés, de la robe de mariée accrochée sur une structure en métal rouillée au drapeau américain troué, délavé, c’est tout l’art de cet Africain-Américain, né à Springflied (Illinois) en 1943 qui se déploie tel un poème sombre, un geste total.
Essaimés de-ci de-là, les fauteuils de bronze de Tatiana Trouvé ponctuent la visite, imaginée comme une balade entre passé et présent. Un petit tour, et s’en vont, les premiers chanceux à pénétrer dans ce temple parisien de l’art contemporain ont déjà dans l’idée d’y revenir flâner, rôder pour mieux se laisser emporter par la magie du lieu et la richesse pléthorique de la collection Pinault.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Exposition Ouverture
du 22 mai au 31 décembre 2021
Collection Pinault – Bourse du Commerce
40 rue du Louvre
75001 Paris
Plein tarif 14 €
Tarif réduit 10 € : 18-26 ans, étudiants, demandeurs d’emploi, conférenciers et guides-interprètes nationaux et régionaux et enseignants.
Entrée gratuite sur réservation : moins de 18 ans, bénéficiaires des minima sociaux, artistes affiliés à la Maison des artistes, enseignants en arts visuels, enseignants préparant une visite scolaire, membres de l’ICOM et de l’ICOMOS.
Entrée gratuite et sans réservation : personnes en situation de handicap et invalides de guerre et leur accompagnateur, journalistes, membres de l’AICA, adhérents Cercle, conférenciers accrédités par la Bourse de Commerce et adhérents du Palazzo Grassi – Punta della Dogana.
crédit photos © OFGDA