Reportée, remodelée, la toute première édition du festival Via les Ailleurs, imaginé par le Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort, a débuté en streaming ce dimanche 16 mai, avant de retrouver du public dès mercredi. Mettant à l’honneur de jeunes artistes programmés dans la saison Africa 2020, fortement chamboulée, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, directeurs des lieux, proposent de découvrir des œuvres éclectiques à différents moments du processus créatif.
A deux pas de la Citadelle de Belfort, fortifiée au XVIIe siècle par Vauban, et non loin de la vieille ville, au cœur de l’ancienne Caserne de l’Espérance rénovée par l’architecte Bernard Reichen, le Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté a élu domicile en 1995. Inauguré par Odile Duboc et Françoise Michel, le lieu a été rebaptisé en 2015 Viadanse par les directeurs actuels, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux. Tournés vers le monde, questionnant dans leurs créations des sujets de sociétés, comme le port du voile, le corps de la femme, la vitalité de la jeunesse africaine, ils initient cette année un festival qui s’inscrit dans la saison Africa 2020, où performances, spectacles et ateliers offrent un bel éventail de la création contemporaine afropéenne.
Akzak en point de mire
Dans le cadre de cette manifestation, impactée par la pandémie, reportée de mois en mois, le duo de chorégraphes invite à découvrir un certain nombre de jeunes artistes venus du Burkina Faso, du Maroc, de Tunisie et d’Égypte, entre autres. Pour beaucoup d’entre eux, et tout particulièrement ceux distribués dans Akzak, dernière production du CCN, qui a vu le jour aux Francophonies à Limoges en septembre dernier, c’est l’occasion de présenter une première création, une étape de travail, de partager avec d’autres artistes et le public, de casser l’image par trop stéréotypée de leur pays, de leur culture. En ce dimanche 16 mai 2021, Via les ailleurs ouvre avec un focustourné vers l’émergence.
Novice No Vice, duo de corps
En ouverture du bal de cette journée singulière, Mohamed Chniti et Meriem Bouajaja, tous deux diplômés du centre chorégraphique méditerranée de Tunis et interprètes d’Akzak, habitent le plateau de fantômes, de djinns. Tour à tour, éclairés de néons ou de leds, ils déforment, tordent leurs corps, les rendent monstrueux, étranges ou sensuels. Jouant des clairs-obsurs, ils convient le regard du spectateur dans un ailleurs virtuel, un monde fantasmé en quête de chaleur et d’humanité. Répété entre la France et la Tunisie, le spectacle en cours de création est déjà bien abouti. Quelques resserrements, quelques liens sont encore à trouver entre les séquences, mais l’objet est déjà prometteur tant l’engagement des artistes est palpable dans chaque mouvement, chaque geste.
Je ne suis pas blanche, solo introspectif
En plein processus créatif, Cyrinne Douss, issue du Jeune Ballet national tunisien, qu’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux, ont rencontré sur Bnett Wasla, travaille sur un solo qui interroge sa double culture. Née d’une mère bretonne et d’un père tunisien, elle navigue entre les deux mondes pour mieux les conjuguer, tenter de les réconcilier. Danse du ventre déconstruite et réinventée, chant d’amour à la Tunisie, voix maternelle contant son arrivée à Fès, elle explore son identité, esquisse le portrait d’une jeunesse entre deux eaux. Profondément marquée par la révolution du Jasmin, qui a mis fin à la dictature de Zine el-Abidine Ben Ali, la danseuse, fille de la mer, comme elle se définit, fête sur scène dix ans de foisonnement culturel et intellectuel, sans pour autant en omettre les limites. Si le corps de la femme est toujours tabou dans son pays de naissance, elle se dévoile, les seins peints de bleu, farouche, fière et libre. Engagée et vibrante, Cyrinne Douss investit le plateau avec une pièce en devenir qu’on a hâte de découvrir dans son entièreté.
Jour J, trio ludique et poétique
Pour finir en beauté, cette belle après-midi de printemps pluvieux, le trio marocain – Moad Haddadi, Chourouk El Mahati et Mohamed Lamqayssi – signe une première pièce chorégraphique particulièrement réjouissante. Têtes masquées par une énorme boule de papier, sorte d’œil géant scrutant le monde à travers des coupures de presse, ils dansent et naviguent à vue. Dépassant la question du genre, s’inspirant des pantomimes, ils donnent à leur gestuelle une dérision, une causticité savoureuse. À l’aveugle, à tâtons, ils sillonnent l’espace, en cherchent hardiment les limites. Dans une dimension où tout se brouille, leurs corps s’attirent, se repoussent et s’unissent. Drôle, touchante, leur écriture se fait au fur et à mesure, plus incisive, plus poétique, plus humaine. Spectacle le plus abouti de ce focus, Jour J est une petite merveille que de nombreux internautes ont pu découvrir via le streaming.
Par-delà les clichés
La journée s’achève. Loin des présupposés, des stéréotypes, les six artistes, tous d’origine maghrébine, ont su imposer leur style hétéroclite, éminemment contemporain, la richesse de leur écriture. S’inspirant du monde, ils ont montré ô combien l’art n’a pas de frontière. Avec ce tout nouveau festival, Héla fattoumi et Éric Lamoureux entraînent le public vers un ailleurs riche, curieux et foisonnant. Avant de découvrir Ex-Pose(s), la dernière création du duo à la tête de Viadanse, dans le cadre du Printemps de la danse arabe et des Arabofolies, le 26 juin à 18h30, dans la salle du conseil de l’Institut du Monde arabe, un détour par Belfort s’impose. La fin de saison, et ce jusqu’à la réouverture de septembre, sera jalonnée de journées évènements durant lesquelles des spectacles, des performances et des ateliers seront présentées.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Via les Ailleurs de mai à septembre 2021
Viadanse – Centre chorégraphique national de Bourgogne Franche-Comté à Belfort
3 Avenue de l’Espérance
90000 Belfort
Programme du 16 Mai 2021
Focus émergence à 16h à VIADANSE (retransmission en ligne)
NOVICE NO VICE - Meriem BOUAJAJA & Mohamed CHNITI – Tunis
Je ne suis pas blanche – Cyrinne DOUSS – Tunis
JOUR J – Chourouk EL MAHATI, Moad HADDADI & Mohamed LAMQAYSSI – Marrakech
Crédit photos © DR, © Laurent Philippe et © Christine Dumas