Travaillant la texture du son et de la voix, Françoiz Breut sort un septième album inspiré, inspirant, tripant. Installée à Bruxelles, la chanteuse cherbourgeoise invite à un pas de côté, discret, décalé et envoûtant, au cœur de nos quotidiens savamment réinventés. Un voyage en pop électro mâtiné de synthpop.
Corps arcbouté dans un décor urbain béton, Françoiz Breut prend la pause sur une route grise désertée. Silhouette fine, gainée de noire, elle quitte l’ombre pour la lumière. Après deux décennies, cachée derrière des flous artistiques, des dessins esquissés à la pointe de son crayon, la chanteuse et plasticienne propose avec le Flux flou de la foule, son septième album en solo, une balade kaléidoscopique entre spleen ouaté et transe acidulée, fait de collages et de patchworks. Se déplaçant avec délicatesse et rondeur malgré les craintes et les troubles qui assaillent nos sociétés contemporaines, elle signe une œuvre lumineuse et mouvante dont le charme discret irradie lentement nos corps.
Une équipée urbaine
Ancienne élève de l’école des Beaux-Arts de Caen, Françoiz Breut puise ses inspirations dans le monde qui l’entoure. Se promenant dans une Bruxelles architecturalement passionnante, elle croque les gris des rues, l’anthracite des pavés, le blanc des belles bâtisses gothiques, les arrêtes anguleuses des bâtiments modernes, la diversité chatoyante, inquiétante des passants. Accompagné au clavier et la prod’ par le catalan Marc Melià, aux percus, à la guitare et à la basse par François Schulz, à la batterie par Roméo Poirier, dans cette aventure urbaine, la chanteuse explore un monde cosmopolite autant flamboyant que sombre.
Ambiance capiteuse jusqu’à l’impro
Se laissant portée par le flow, la communion artistique qui anime cette troupe de musiciens, Françoiz Breut s’affranchit de ses habitudes, sort de ses zones de confort, du folk qui lui collent à la peau depuis un quart de siècle pour des sonorités synthpop et pop électro. Forte de ses collaborations intenses, stimulantes, elle inclut dans ce septième opus, travaillé à l’os musical, à la chair, quatre des onze morceaux nés de cessions acoustiques, d’impros. Entremêlant à quelques résonnances tribales, transcendantales, le bruit de la ville, la pétulance de sa voix, elle lâche prise, quitte le confort du port pour des eaux exotiques, malicieuses.
La réalité du monde derrière le Flux fou de la foule
Sensibilité à fleur de peau, Françoiz Breut cisèle textes et compositions. Observatrice du monde, tâtant délicatement le pouls de nos sociétés occidentales, elle joue des contrastes, esquivant au-delà de pétillantes harmonies, d’acidulées réverb’, un quotidien lucide. Des migrants qui apparaissent en filigrane de Juste de passage aux terres ravagées par une catastrophe amoureuse à l’instar de celle provoquée par une catastrophe nucléaire de Fissure – duo magnétique avec le Tunisien Jawhar – , en passant par son corps brûlant de passion charnelle de Mes péchés s’accumulent, par les corps démunis de La chute des damnés, elle convie à une approche paradoxale du monde entre clairvoyance et songe lunaire.
Quittant l’évanescence qui lui servait de carapace, Françoiz Breut habite dans ce septième disque un contraste, une voix claire, cristalline, une plume ludique, ardente. Le flux flou de la foule s’écoute comme un poème à la beauté fragile, à la profondeur entêtante. Un recueil mélodique à déguster comme une gourmandise qui explose en bouche.
Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Flux flou de la Foule de Françoiz Breut
Trente Février/PIAS
Sortie le 9 avril 2022
Crédit photos © Simon Vanrie