Perruque « choucroutée » platine, robe noire pailletée et talons hauts, Catherine Jacob donne prestance et truculence au personnage de Madame, cette tenancière de bordel à la vie rude, qui a connu les guerres, côtoyé des criminels, la mort, et la solitude. Gironde, flamboyante, gouailleuse, gourmande, elle illumine de sa voix si reconnaissable, si particulière, le texte sombre, noir et argotique de Rémi De Vos… Envoûtant !…
Dans un écrin de rideaux carmin, rappelant les boudoirs des maisons closes, une silhouette assise, dos tourné, attend dans l’ombre. Les premiers mots résonnent dans l’espace vide. Les intonations sont familières. La voix, reconnaissable immédiatement. Captivé, absorbé, le public écoute dans un silence religieux les confessions sordides, intimes et gourmandes d’une fille de ferme, un peu gourde, devenue mère maquerelle d’une maison close ayant pignon sur rue.
Née à la fin du XIXe siècle au cœur de la France rurale, Madame rêve de paillettes et de vie facile. Attirée par les lumières flamboyantes du Paris de la Belle-Epoque, elle quitte la fabrique à canons pour les rues de la capitale. Naïve, un peu niaise, elle découvre l’amour charnel et physique avec « un virtuose du plumard doté d’une baguette surdimensionnée », le sus-nommé Landru. Fascinée par les beaux parleurs, particulièrement sensible aux parties de jambes en l’air, la jeune fille est une proie aisée pour les maquignons de la Grand ville. Faute d’avoir des biens, elle échappe à la virée à Gambais, au dépècement, et à la cuisinière au charbon. Elle ne connut de ce premier amant singulier que les bons côtés.
Pour « redorer son blason », un tantinet racorni, elle épouse un poilu estropié qui n’a rien d’une bête de sexe mais qui lui fera deux enfants. Hâtivement veuve, refusant de retourner dans la fange provinciale et ayant un instinct maternel proche de zéro, elle laisse sa progéniture à la charge de ses campagnards de parents et regagne Paris.Bécassine au grand cœur, toujours un peu bêtasse, elle tombe dans l’escarcelle d’un mac sans scrupules, au sourire ravageur, qui, après l’avoir bien ferrée, la met sur le trottoir. Elle finit par pousser la porte d’une une maison close, comme si elle allait entrer au couvent. En effet, « une mère maquerelle, c’est comme une mère supérieure, en plus maquillée… ». Habile en la matière, elle finira, au cours de la seconde guerre mondiale, tenancière d’un bordel de luxe, et gagnera le titre de Madame après avoir côtoyé le peu fréquentable docteur Petiot, adroit pour soigner les filles blessées après le passage d’un client peu délicat. La guerre finie, elle échappe à la vindicte populaire grâce à ses relations. Amoureuse une nouvelle fois, elle donnera naissance à un enfant enfin désiré… mais la guerre, à nouveau, emportera tout…
Pris dans les rets de cette rocambolesque histoire, sordide et truculente, le public est suspendu aux lèvres rouges écarlates de Catherine Jacob. Seule en scène, elle ensorcelle l’auditoire. Elle est toutes les facettes de cette femme hors du commun, lucide et humaine. Jouisseuse, elle est résignée face à l’adversité. Facétieuse, elle subit la vie avec dérision.
Avec gourmandise, la comédienne se délecte des mots si habilement mêlés par Rémi De Vos. Elle donne chair à ce monologue magnifique, argotique, fait vivre et vibrer cette comédie noire au texte sombre. Lumineuse, drôle, époustouflante, Catherine Jacob, telle une orfèvre dramaturge, est une sublime Madame… Chapeau bas l’artiste !….
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Madame de Rémi De Vos
théâtre de l’Œuvre
55, rue de Clichy
75009 Paris
Jusqu’au 20 décembre 2015 à 19h
Durée 1h30
mise en scène Rémi De VOs
avec Catherine Jacob
décors de Othello Vilgard
coiffure de Cécile Kretschamr
Crédit photos © Dunnara Meas