Dans un monde en déshérence, quasi déshumanisé, Adrien Cornaggia conte les premiers émois d’un amour simple entre deux filles un peu paumées. Bien loin des grandes passions, il invite à plonger dans un quotidien un peu morose, un peu triste, mais où un regard, un baiser transforme le gris en nuance colorée qui réchauffe doucement les cœurs.
Pas la peine d’aller au théâtre, d’autant qu’ils sont toujours fermés au public, pour se laisser emporter par les mots d’un dramaturge. De nombreux textes destinés à la scène fleurissent en librairie. Ainsi, thé ou café à portée de main, calé dans un bon fauteuil, un canapé cosy, il est possible de se laisser emporter à travers les pages, les saynètes, les situations d’une pièce en devenir. Reçu, il y a quelques jours, le dernier texte d’Adrien Corneggia, auteur faisant partie du Collectif Traverse, à qui l’on doit notamment le très réussi Pavillon noir, intrigue par son titre évocateur, Faire l’amour.
Deux âmes esseulées dans un monde brutal
A travers une succession de numéros, celui de la sécu, celui d’un compte en banque, celui de pôle emploi, celui inscrit en bas d’une carte d’identité, etc., qu’elle égrène façon mantra, Tania, une jeune femme n’ayant pas plus de 25 ans, tente de se prouver qu’elle existe, qu’elle est un être réel de chair, de sang, qu’elle fait partie d’un tout. Non loin de là, Jade, approximativement le même âge, ne semble pas mieux dans sa peau. Après le décès très récemment de sa mère, elle se trouve l’heureuse propriétaire d’une chienne, pas très jolie, et qui n’en fait qu’à sa tête. Un peu looseuses, un peu à côté de leurs baskets, c’est dans un parc de banlieue où elles ont leurs habitudes qu’elles finissent par se rencontrer, échanger des banalités, s’aimer à leur manière décalée, étrange, un peu rugueuse.
S’aimer quand même
Empêtrées dans un monde froid, sans chaleur, où les masculinistes pétris de machisme et de sexisme, se croient obligés d’imposer aux autres leur regard étriqué, homophobe et raciste, les deux jeunes femmes vont lentement, inexorablement être séduites l’une par l’autre. Le franc parler de Jade, les silences de Tania vont se conjuguer en un amour tout simple, sans fioriture, sans violon, une passion à la flamme tenue mais bien réel.
Une écriture roide, rêche
S’immergeant dans le quotidien gris et banlieusard des deux jeunes femmes, Adrien Cornaggia ne cherche pas à déformer la réalité, à la rendre plus romantique, moins banale, à attraper le lecteur par de belles formules. Plume acérée, langage parler, il signe un texte brut sans ornement. Entremêlant les voix, les époques, il donne matière à une pièce de théâtre authentique, hyperréaliste. Écrits à la manière d’un match de boxe, où les coups ne frapperaient pas toujours dans le mille, les dialogues et soliloques percutent, déroutent mais révèlent en creux un univers trop souvent boudé des plateaux, celui du quotidien des lambdas.
Paru en mars 2021 aux Éditions théâtrales, Faire l’amour n’est pas temps un texte à lire qu’à imaginer monter sur scène. Alléché par l’étonnante dramaturgie d’Adrien Cornaggia, on ne peut que souhaiter la découvrir dans un avenir proche dans une salle de théâtre.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Faire l’amour d’Adrien Cornaggia
Éditions Théâtrales
82 pages
Prix conseillé 12 euros
Crédit Portrait © Alice Barbosa