Robe rouge fendue jusqu’au haut de la cuisse, un déhanché à faire chavirer les cœurs, Irma la douce version 2015 – l’épatante Marie-Julie Baup – a tout de la « pépé » sexy tout droit sortie des films noir et blanc des années 1950. Très vite, le beau verni incandescent craque. Le spectacle perd de sa superbe. Trop sage, trop fade, la sympathique mise en scène de Nicolas Briançon manque de folie, de piment et de gouaille… Heureusement, Nicole Croisille, radieuse, éclatante, redonne lustre et saveur. Parfaitement à l’aise, gainée de léopard, sexy en diable, la grande dame fait voler en éclat nos petites déceptions. Elle nous ensorcelle en tenancière de bordel au grand cœur … et sauve sur le fil cette revue légère et surannée.
Sur la scène immense du théâtre de la porte Saint-Martin flotte un air du Montmartre, du Pigalle des années 1950. Les femmes semblent légères, apprêtées, des « putes » au grand cœur. Les hommes, affairés, joueurs, des « macs » cachant derrière leur mine patibulaire des monceaux de tendresse. La vie semble bien douce dans ce Paris carton-pâte.
Du fond de la salle, une voix s’élève, reconnaissable entre mille. Cigarette au bec, coupe garçonne, ultra féminine, robe noire moulée, faux diamants, strass et paillettes pour compléter la tenue, Maman (fantastique Nicole Croisille) fait son entrée. Perchée sur de hauts talons, la démarche chaloupée, l’ancienne pute, reconvertie en maquerelle, tenancière d’un obscur cabaret où les filles sont faciles, l’alcool coule à flots, et les hommes ont l’argent facile, harangue le public afin de mieux le ferrer et lui conter par le menu l’histoire extraordinaire, rocambolesque, d’Irma la douce (fantastique Marie-Julie Baup) et de son fripé (Lorant Deutsch en demi-teinte). La belle fait chavirer tous les cœurs de Paname, mais elle n’a que son beau- parleur, son « entourloupeur » d’homme dans la peau.
A l’ombre de la Butte, dans le Paris gouailleur où les titis parisiens sont les rois, Irma fait le tapin. Légère, insouciante, elle enchaîne les clients pour amasser suffisamment d’argent et changer de vie. Arnaqueur à la petite semaine, caïd de pacotille, respecté de ses acolytes, Nestor est de plus en plus jaloux. Il a de plus en plus de mal à supporter les hommes qui peuplent le lit de sa douce. Pour en finir avec ce mal qui le ronge, il décide de se transformer en Octave et de devenir le seul riche client d’Irma. Mais même de ce double, il finit pas ne plus supporter la présence, d’autant plus que la belle n’a pas reconnu en l’homme providentiel sa tendre moitié. Lors d’une singulière et tragique confrontation avec lui-même, il tue cet autre. Cette duperie lui coûtera le bagne, accusé d’avoir assassiné ce fantôme créé de toutes pièces… Il devra affronter différentes situations délirantes et cocasses avant de retrouver peut-être sa belle.
En misant sur une mise en scène sage, épurée, Nicolas Briançon dessine une comédie musicale douce, comme son héroïne, légère et désuète. Loin de vitaminer les textes et les musiques datant des années 50, il a préféré forcer le trait burlesque et les clins d’œil nostalgiques. Ainsi, en arrière-plan, au détour d’une saynète, on a l’impression de croiser Michou, les Rois mages, Elvis, le père Fourasse ou Darry Cowl. L’effet touche au cœur, le public ayant passé la quarantaine, mais ne suffit à donner force, souffle, folie et vitalité au spectacle. Très vite, il manque ce petit truc, cette gouaille, cet argot parisien, ce sel qui relève la sauce et affole nos sens. A l’instar du Pigalle propret qui sert de décor à Irma la douce, la scénographie est trop lisse, trop sobre. Alors que la première partie est un poil bavarde et poussive, la seconde se révèle un tantinet « too much » et kitsch.
Heureusement, la fougue de Nicole Croisille, vient dynamiter tout cela. Elle illumine la scène de sa verve, de son sourire toujours ravageur et de sa voix intacte, cristalline. Habillée comme une jeunette, leggings léopard à paillettes, talons compensés, la grande dame de la chanson s’amuse et fait bien des jalouses. La jambe fine, elle danse, virevolte au diapason des autres comédiens. Véritable tourbillon sur scène, elle emporte dans sa douce folie, le public. La septuagénaire est indubitablement la grande révélation de cette revue, s’il était encore nécessaire de prouver son indéniable talent.
Le couple vedette est certes charmant, mais fort inégal. Si Marie-Julie Baup séduit par sa fraîcheur, son joli brin de voix et sa présence solaire, elle manque d’un je-ne sais-quoi du Paris populaire d’après-guerre, de cet accent qui a fait d’Arletty une figure de légende. Quant à Lorant Deutsch, à l’aise dans la comédie, il perd vite ses moyens dès qu’il doit entonner les parties chantées. Clairement, il n’est pas très juste, mais reconnaissons-lui le mérite de faire au mieux. L’ensemble de la troupe, de Claire Perot à Olivier Claverie en passant par Fabrice de la Villehervé, et l’orchestre, distillent bonne humeur et belle rythmique. Mais c’est Andy Cocq qui séduit. Il est irrésistible dans le rôle du bagnard « la douceur ».
Loin d’être totalement convaincu par cette nouvelle version d’Irma la douce, on est clairement heureux de retrouver la grande Nicole à son firmament… un doux moment en somme !…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Irma la douce d’Alexandre Breffort
Théâtre de la Porte Saint-Martin
18, Boulevard Saint-Martin
75010 Paris
Du mardi au vendredi à 20h. Samedi à 17h et 20h45.
Durée 2h10 avec entracte
Mise en scène Nicolas Briançon
Assisté de Pierre-Alain Leleu
Musique Marguerite Monnot
Arrangements Gérard Daguerre
Avec Lorant Deutsch, Marie-Julie Baup, Nicole Croisille, Andy Cocq, Olivier Claverie, Fabrice de la Villehervé, Jacques Fontanel, Valentin Fruitier, Laurent Paolini, Claire Perot, Bryan Polach, Pierre Reggiani, Loris Verrecchia, Philippe Vieux.
Décors Jacques Gabel, Costumes Michel Dussarrat, Lumières Gaëlle de Malglaive, Chorégraphies Karine Orts, Chef de chant Vincent Heden.
Basse Henri Dorina, Batterie Christian Orante, Percussions Didier Sutton, Accordéon Aurélien Noel, Piano Marc Benhamou, Guitare, Banjo, Trombone, Glockenspiel, Direction d’orchestre en alternance Jean-Luc Pagni.
Crédit photos © Pascal Victor