Hier alors que je surfais sur les réseaux à attendre des nouvelles d’Alain Françon, victime d’une attaque au couteau à Montpellier, une photo de Jacques est alors apparue dans un post Facebook de Thierry Harcourt, disant adieu à celui qu’il avait mis en scène dans L’amante anglaise de Marguerite Duras au Lucernaire. Ma première réaction a été comme pour beaucoup d’entre nous, je l’imagine : Non ! Puis, comme c’était l’heure de l’apéro, et qu’il aimait cet instant, j’ai pris un verre, non pas un bon Bourgogne comme il aimait, mais un petit Côtes de Gascogne, et je l’ai levé en disant : À toi, grand Jacques !
Une dernière rencontre
La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était au Festival d’Avignon, le dernier, celui de 2019, avant que ce virus ne chamboule nos vies. Il était attablé au café, rue Guillaume Puy, juste en face du fameux restaurant le 75, à deux pas du théâtre du Petit Chien, où je m’occupais de la pièce de Cerise Guy, Courtisanes. Il m’avait hélé et invité à le rejoindre pour boire un verre. Ce rendez-vous, nous l’avons eu régulièrement durant ce festival. C’était joyeux, festif et nous devisions de tout et surtout de théâtre. Nous reprenions nos habitudes prises au Lucernaire, quand il y jouait L’amante anglaise. En bon Dijonnais, il aimait la bonne chair, les bons crus et la vie. Il impressionnait, mais derrière sa stature de géant, il cachait un être généreux, chaleureux, d’une grande gentillesse. Il en avait du charme !
Un physique de géant
Je me rappelle sa crinière de lion, sa haute silhouette de colosse, qu’il avait souvent bien du mal à mouvoir, à cause d’un dos qui le faisait souffrir. Mais ce qui restera à jamais marquant était cette voix particulière, à la fois douce et rugissante, d’une musicalité exceptionnelle. Cet instrument en avait fait un acteur de doublage et l’on reconnaissait ce timbre particulier à chacune de ses prestations. La première fois où nous nous sommes rencontrés, évidement je n’ai pu m’empêcher de lui demander de me susurrer quelques mots à mon oreille. J’ai fermé les yeux et c’était Robert de Niro qui me parlait à moi ! On va être bien embêter maintenant lorsque le grand Bob va parler en français dans un film ! Jacques Frantz avait le talent rare de se glisser dans la peau des acteurs à qui il prêtait sa sublime voix, dans un jeu qui arrivait à nous faire oublier que ce n’était pas l’original. Personnellement lorsque j’entends de Niro pour de vrai, je trouve qu’il imite parfaitement Jacques Frantz. Ce qui l’avait bien fait « marrer » quand je le lui avais avoué.
Un monstre sacré, un homme de théâtre
Mais réduire Jacques Frantz à cela serait une grande injustice. Il était surtout un grand comédien et chacune de ses apparitions sur une scène était remarquable. Il avait débuté avec Robert Hossein, dans Crime et Châtiment en 1971. Bien sûr, le doublage lui prenait beaucoup de son temps et sa carrière théâtrale ne fut pas aussi remplie qu’elle aurait dû être. Je me souviens de la première fois où je l’ai vu sur scène, c’était en 1992, au Théâtre La Bruyère, dans C’était bien de James Sanders, dans la mise en scène de Stephan Meldegg. Puis, il y eu en 1999, Les lunettes d’Elton John de David Farr, toujours dans une mise en scène de Meldegg, alors artiste incontournable et brillant de l’époque. Si la pièce n’a pas eu le succès mérité, j’avais été pour ma part emballé par sa prestation, ainsi que celle des petits jeunes qui l’entouraient et qui aujourd’hui ont tracé leur chemin : Adrien de Van, Baptiste Roussillon, Benjamin Bellecour et Salomé Lelouch. Comment ne pas oublier sa prestation, qui lui valu une nomination aux Molières en 2007, dans la pièce de Louis-Charles Sirjacq, Les riches reprennent confiance, mise en scène par Etienne Bierry au Poche-Montparnasse. Sa dernière pièce fut L’amante anglaise de Marguerite Duras, mise en scène par Thierry Harcourt au Lucernaire, où il partageait l’affiche avec Judith Magre. Le succès avait été immense et mérité. Je sais qu’il avait des projets et plein d’envies, alors cette mort subite semble injuste. Sa fille Marjorie, comédienne également, était sa fierté, et l’on se joint tendrement à sa peine. Salut l’artiste et merci pour tout !
Marie-Céline Nivière
Crédit photos © Philippe Hanula, © Universal Pictures