Julien Derouault © Julien Benhamou

Julien Derouault, la danse au corps

Après Lorenzaccio de Musset, entre texte et corps, Julien Derouault s'attaque à Dans la solitude des champs de coton de Koltès.

Après Lorenzaccio de Musset, présenté à Grignan en 2017, Julien Derouault continue à explorer le dialogue entre théâtre et danse. Avec Abdel-Rahym Madi, il s’attaque, avec la complicité de Marie-Claude Pietragalla, à Dans la Solitude du champs de coton de Koltés. Rencontre avec un artiste à la présence animale.

Dans la Solitude des Champs de coton de Koltès. Julien Derouault. Marie-Claude Pietragalla. théâtre du Corps © Pascal Elliott

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Mon premier souvenir, c’est un spectacle au théâtre du Mans. Je devais avoir 12 ans et curieux de l’endroit, du mystère qui se dégageait de ce lieu. J’étais allé voir Laurent Terzieff seul en scène. Je n’oublierai jamais la sensation que j’ai ressentie alors. Cet homme me semblait être un sorcier païen, un magicien des mots qui envoûtait la salle. Le texte était ardu à mes oreilles d’enfant, mais plus que le sens des mots, c’est le sens de ce qui se déroulait devant mes yeux qui me fascina. La présence, l’aura, l’alchimie d’un corps en scène devant des spectateurs. Il s’offrait au public et paraissait suspendre le temps. Je crois qu’inconsciemment ma décision d’épouser ce métier s’est prise ce jour-là.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseur – chorégraphe  ? 
Je faisais beaucoup de sport étant jeune et toutes ces activités tentaient de canaliser mon énergie débordante. Football, judo, basket, tennis…et danse. Un jour un de mes entraîneurs de foot m’a demandé clairement de choisir entre toutes ces activités, spécialement la danse qui semblait lui poser un problème. Sans le savoir, il venait de me précipiter dans la danse, car dès le lendemain, j’ai tout arrêté pour me consacrer uniquement à cet art. 
La danse s’est révélée pour moi plus qu’un métier ou une passion. Elle représentait tout ce que je cherchais : l’énergie physique et la maîtrise technique, le dialogue universel, la compréhension d’un monde sensible invisible au quotidien et révélé en scène, l’engagement permanent, l’exigence d’un absolu… Métaphysiquement au-dessus du « bruit » ambiant, de la réalité rétrécie et en même temps la danse est ontologiquement présente partout, dans le moindre geste.  

Lorenzaccio de Musset. Grignan Pietragalla, Julien Derouault. © OFGA

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 
Le premier spectacle amateur est bien évidemment un souvenir indélébile, car il procède d’une admission. J’étais le seul garçon inscrit dans ce cours de danse privé au Mans, ma professeure de l’époque en était ravie et m’avais mis devant. J’étais autorisé à monter sur scène, j’avais travaillé pour. Les lumières, le plateau, les regards du public et leurs forces m’ont immédiatement bouleversé.
Le premier spectacle professionnel représente la première pierre de l’édifice. J’étais stagiaire chez Roland Petit à Marseille. La compagnie partait en tournée en Italie pour y jouer Casse-Noisette. Mon rôle était plus que mince, je n’avais que de fugaces apparitions sur le plateau. J’en garde pourtant un souvenir extraordinaire. Chaque seconde, chaque respiration sur scène me semblait si belle, si lumineuse, si importante. Je réalisais alors que ma vie ne serait plus jamais la même. Cette expérience est un passage vers un ailleurs, une transcendance.

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Étant jeune, j’ai eu la chance d’assister à un spectacle de Mikhail Baryshnikov. L’aisance qui se dégageait de sa danse, la légèreté et la puissance de son interprétation m’ont fasciné. Les « monstres sacrés » sont des phares pour la jeune génération ; ils transcendent les publics, les barrières sociales et permettent aux mômes de découvrir la poésie, la musique, la danse, le théâtre, l’excellence de la démarche artistique. La tendance actuelle est déboulonnage des statues ; attention à ne pas niveler par le bas. L’accessibilité n’est pas une facilité.

Je t'ai rencontré par hasard. Pietragalla et Julien Derouault. Théâtre du corps. © Pascal Elliott

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 
Pietra est LA rencontre. Notre relation est au-delà du professionnel et du personnel. Nous nous sommes rencontrés. L’évidence de notre complémentarité, la sincérité de nos échanges m’ont transformé. C’est si rare de trouver chez l’autre, un autre soi plus précieux encore. Pietra m’a fait grandir, m’a tout appris en quelque sorte sur ce qu’un artiste doit être et sur ce qu’un homme peut être. Nous avons affronté des défis immenses, des projets impossibles. Elle m’a enseigné le courage comme une éthique de la vie, l’exigence comme une philosophie de travail et la sincérité comme une sagesse élémentaire. Elle m’a permis de devenir un homme qui danse. 

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ? 
Je ne considère plus la danse comme mon métier. Je crois d’ailleurs ne l’avoir jamais réellement envisagé comme tel. La danse a toujours été pour moi un état d’être, une philosophie. Je danse donc je suis. Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours eu conscience de la chance d’exercer ce métier, car il m’arrachait à une réalité vécue ou perçue comme rétrécie, limitée et limitante. Danser, c’est une respiration qui vous élève, c’est un moyen d’accéder à un imaginaire illimité, transfiguré par et pour le corps. Danser, c’est se connaître de manière cellulaire, organique ; c’est découvrir l’universel en chacun de nous à travers son originalité. 
Je ne conçois donc pas ma vie sans la danse qui n’est donc pas un métier mais un voyage intérieur.

Lorenzaccio de Musset. Grignan. Julien Derouault et Pietragalla. © Pascal Elliot

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Absolument tout. L’humain est au centre de notre travail de chorégraphes et metteurs en scène. Mais de l’invisible immensité jusqu’aux petits riens de la vie, les blessures, les joies, les gestes irréfléchis ou automatisés, tout est prétexte à l’imagination, à la rêverie. Un couple de personnes âgées qui marchent du même pas, la démarche hésitante de l’adolescence, la revendication politique assumée par le corps, l’imitation du pouvoir…Toute matière vivante peut m’apparaître dans sa beauté, sa chorégraphie de ligne, son épaisseur du mouvement, sa qualité du geste. Toute vie est mouvement, tout est danse qui est la poésie de celle-ci.

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
Instinctif, méticuleux, structuré pour être libre. Le corps d’un danseur sait que les oppositions de force servent à tenir en équilibre, à réaliser les gestes les plus difficiles, les plus techniques. Du conflit naît la vérité. Les contraintes sont donc essentielles à l’avènement du vrai, du juste, de ce que peut reconnaître le public. J’ai toujours été un être de contradictions et je pense que cela m’a servi dans mon art. La scène est une arène où la simplicité ne s’obtient qu’au bout d’un travail acharné, d’un apprentissage minutieux. Elle révèle ce que nous ne percevons pas de nous-même.

A quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ? 
Dans tout le corps. C’est l’enseignement de l’art chorégraphique. Le corps considéré et apprivoisé dans son entièreté. Ce corps éphémère qui raconte quand on le laisse s’exprimer, quand on a appris à l’entendre. À lui seul, le corps est théâtre. Théâtre des passions, des émotions, de la vie et de la mort. 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 
Je suis un grand admirateur de James Thiérrée, que je considère comme l’un des plus grands artistes sur scène aujourd’hui. J’aime également des artistes venus d’univers très différents comme Refik Anadol (plasticien digital) ou le compositeur islandais Olafur Arnalds. Les trois en même temps feraient d’ailleurs une production de folie ! J’aime travailler avec des artistes venus de l’opéra ou des danses urbaines, des musiciens ou des cinéastes…bref, toujours le grand écart. 

Lorenzaccio de Musset. Grignan Pietragalla, Julien Derouault. © OFGA

À quel projet fou aimeriez-vous participé ? 
À celui qui viendra. Tous les projets que nous avons entrepris au sein de notre compagnie Le Théâtre du Corps étaient dingues. Qui aurait pu imaginer que M. & Mme Rêve sur l’imaginaire d’Ionesco allait nous emmener si loin dans la création et dans la rencontre avec le public ? Produire 18 Grand Rex était inenvisageable pour une compagnie de danse indépendante de surcroit. C’était fou et nous l’avons fait. Créer un spectacle pour les Jeux Olympiques de Pékin était insensé également, tourner avec dans toute la Chine puis refaire la route de la soie à l’envers pour finir Place Saint-Marc à Venise fut inoubliable. 

Si votre vie était une œuvre, qu’elle serait-elle ? 
La symphonie du nouveau monde réorchestré par Daft Punk, le Nijinsky de Rodin en hologramme ou peut être le jeune homme et la mort donné en pleine rue. Je blague mais ce serait, je l’espère, une œuvre qui relie, qui interroge et qui bouleverse.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès
Chorégraphie et mise en scène
Marie-Claude Pietragalla et  Julien Derouault

Lorenzaccio de Musset.
Chorégraphie et mise en scène
Marie-Claude Pietragalla et  Julien Derouault

Crédit photos © Julien Benhamou © OFGDA et © Pascal Elliott

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