Metteuse en scène, traductrice, membre du bureau du Syndeac et intervenante à l’Esad-paris, Anne Monfort fait feu de tout bois pour que rayonne l’art dramatique. Passionnée, féministe, après s’être attaquée au magnifique Pas pleurer de Lydie Salvayre en 2019, elle prépare pour 2022 sa prochaine création une adaptation de Nostalgie 2175 d’Anja Hiling. En attendant de retrouver les plateaux, elle nous ouvre son jardin secret artistique.
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je ne suis pas sûre mais j’ai un souvenir d’avoir assisté enfant à Peines de cœur d’une chatte anglaise. On en a rejoué des scènes avec mon cousin pendant longtemps !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est Berlin, où j’étais pour mes études à 21 ans. J’allais au théâtre tout le temps, je préparais un doctorat et je sentais confusément que la carrière universitaire n’était pas pour moi, et je faisais déjà du théâtre par ailleurs. Quand je suis rentrée en France, c’était clair dans ma tête.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être metteuse en scène ?
C’est l’envie d’être un peu touche-à-tout, et aussi d’arriver à relier des choses impossibles – l’écriture et le mouvement par exemple. Au départ quand j’ai commencé, être « œil extérieur » (je ne savais pas que « metteur en scène » était un métier), c’était une façon d’être à la fois avec les acteurs et avec la technique.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Je faisais du théâtre dans des troupes universitaires mais le premier spectacle professionnel auquel j’ai participé c’était Combat de nègre et de chiens, mis en scène par Jacques Nichet, au TNT à Toulouse. J’étais stagiaire à la mise en scène et c’était un moment très fondateur, avec une équipe très accueillante et la grande joie du fonctionnement d’une maison. J’y ai fait des rencontres fondatrices, comme Célie Pauthe, qui était collaboratrice artistique et que j’ai retrouvée à Besançon.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Je crois que c’est Cesena le spectacle d’ Anne Teresa de Kersmaeker qui commençait de nuit et accompagnait le lever du jour. C’était une sensation folle de spectatrice d’être accompagnée dans ce mouvement de réveil, de sentir tout le spectacle, les corps, les voix, de façon sensible, par les pores de la peau.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Les actrices et les acteurs, toujours. Surtout ceux avec qui une histoire se construit à travers les spectacles, qu’on retrouve. C’est toujours à partir des acteurs que je construis les spectacles. Je ne pourrai pas penser mon prochain spectacle sans Judith Henry. Les équipes de création – je suis une fidèle, toujours la même scénographe, la même dramaturge, la même éclairagiste….
Les jeunes acteurs aussi. On a eu récemment une expérience très belle, de ces choses inhabituelles que la situation actuelle rend possible, de travailler avec trois acteurs que je connais bien, ma dramaturge, et une promotion entière de jeunes acteurs de l’Esad autour d’un roman que nous affectionnons tous beaucoup, L’avancée de la nuit, de Jakuta Alikavazovic. C’est là que j’ai senti à quel point nos familles de théâtre sont importantes – c’était extrêmement fort de partager nos habitudes de travail à cinq avec ces jeunes gens, de déplacer aussi nos constellations de travail en restant ensemble.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Sans travailler je deviens vite insupportable, ma famille peut témoigner. C’est aussi un rapport au mouvement- le fait d’être mobile, de se déplacer à tous les sens du terme, de se décentrer, d’aller à la rencontre de nouvelles personnes, de nouveaux territoires, c’est quelque chose qui participe intrinsèquement de mon équilibre intérieur. C’est paradoxalement une façon de rester centrée.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La peinture italienne, toujours. Le cinéma de Jacques Rivette et Chantal Akerman. Les spectacles de Pina Bausch et François Tanguy. Et l’écriture, les livres. Je pense souvent à cette phrase de Mathieu Riboulet, qui pour moi définit exactement pourquoi je fais du théâtre « ça quitte les livres et ça vient dans le corps ».
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
C’est à la fois visuel et dans les pieds. Je peux passer des heures à regarder un plateau vide en apparence en buvant du café, et il y a toujours un moment où j’ai besoin de l’arpenter dans tous les sens pour sentir ce qu’on à se raconter.
A quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
C’est une question de peau. Dans la pièce sur laquelle je travaille en ce moment, Anja Hilling parle de la peau comme « unique biotope protégé ». Je pense que c’est exactement là, cette membrane entre l’extérieur et l’intérieur, à la fois exposé et protégé.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Gisèle Vienne, Raimund Hoghe… Plein de gens en fait. Et j’adore travailler avec la musique ! J’ai travaillé avec la violoniste Szuhwa Wu et j’ai la chance en ce moment de collaborer avec la compositrice Nuria Gimenez Comas, pour des projets où la conception est vraiment partagée, et je trouve ces expériences tellement fortes….
A quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’ai pu voir à Londres il y a quelques années The drowned man, un spectacle immersif de la compagnie Punchdrunk. Un spectacle dingue qui rendrait fou n’importe quel directeur technique français. Ça jouait dans un immeuble de cinq étages, destiné à être détruit à la fin des représentations, les spectateurs étaient masqués, et une cinquantaine d’acteurs jouaient des scènes partout dans le bâtiment, il fallait courir pour passer d’une scène à l’autre. On traversait des décors fous – un saloon, une chambre, une salle de bal, un plateau de tournage, une cahute au milieu d’une étendue de sable….
Comme l’impression de vivre un film de David Lynch, mais de l’intérieur. J’adorerais participer à un projet comme ça.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Peut être une installation de Maurizio Cattelan, l’ éléphant recouvert d’un drap, Not afraid of love.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Pas pleurer d’après le roman de Lydie Salvayre
Mise en scène d’Anne Monfort
Cie Day for Night
A l’Institut Français de Barcelone dans le cadre du OUI !Festival, Espagne
Crédit photos © Katell Daunis, © Rita Martinos,© DR & © Mahaut Leconte