Derrière les portes closes du théâtre strasbourgeois, le Groupe 47 de l’École du TNS, tout juste entrée en octobre dernier, fait corps, tantôt timide, tantôt fanfaronne, tantôt charmée face à Dominique Reymond, leur maîtresse de stage pour deux semaines. Devant la fascinante comédienne, sa voix si singulière, si envoûtante, les douze élèves comédiens apprivoisent la langue de Claudel, son regard sur un monde depuis longtemps révolu.
Soleil au zénith, les élèves de la Groupe 47 profitent des températures clémentes de ce début de mars pour déjeuner sur le parvis du TNS. En les observant de loin, très vite, il se dégage de ses corps, de leur jeunesse, une fougue, un désir fou d’en découdre avec le monde, de se faire une place au soleil. Certains répètent , à l’écart, leur texte, d’autres en profitent pour se lâcher, se détendre avant l’après-midi qui les attend, quatre heures avec l’artiste associée Dominique Reymond, mais tous semblent communier, être solidaire, complice.
A l’écoute
Pour l’actrice française née en suisse, c’est une grande première. « Tout au long de ma carrière, explique-t-elle, je n’ai eu finalement que peu l’occasions de transmettre, d’enseigner. Étant artiste associée au lieu depuis plusieurs années, j’ai eu l’envie, le besoin de me sentir utile. Stanislas (Nordey) m’a proposé d’animer un stage. J’ai accepté sans trop savoir dans quoi je m’embarquais. Je travaille à l’instinct. Bien que je n’ai pas véritablement de désir de texte en tant qu’interprète, je voulais faire découvrir à ces jeunes comédiens bouillonnants, débordants et bien évidemment attachants, l’écriture de Claudel, les intéressait à cette langue, à cette poésie. C’est une gageure que j’espère réussir. » À voir, comment les douze élèves, présents ce jour, l’écoutent, le pari semble gagné. Une demi-heure durant, la comédienne prend le temps de répondre à leurs questions à les interroger sur leurs envies. Dominique Reymond égrène ses souvenirs de spectacles, ses rencontres, son rapport aux mots, aux lieux, aux autres artistes, sa manière d’apprendre ses textes à l’aide de dessins mémo-techniques. De ce moment suspendu, gourmand, naît une belle complicité, une sincérité curiosité, une avidité d’apprendre, de comprendre et de découvrir.
La force vive d’un théâtre
Peu de monde dans les couloirs, peu de bruits derrière les magnifiques photos noir et blanc de Jean-Louis Fernandez, qui recouvrent les murs et racontent l’histoire récente du lieu, le TNS pourrait, au tout premier abord, sembler vide, déserté. Pourtant, un souffle énergique, fougueux parcourt les coursives, grimpe les escaliers. « Avoir une école en son sein, surtout en ce moment, où les lieux de culture sont fermés, avoue joyeusement Stanislas Nordey, c’est comme avoir un poumon extraordinaire, de l’oxygène supplémentaire. Actuellement, 52 jeunes artistes sont dans la baraque et la font vivre. Que ce soit avec Dominique Reymond ou Éric Lacascade, ils travaillent, remettent en question des tas de choses, rêvent à un autre avenir, à la rencontre avec le public. D’ailleurs, J’ai toujours pensé qu’il faudrait dans chaque théâtre une école. L’inverse est quelque chose d’absurde, car finalement dans un théâtre, en tant normal, il y a peu d’artistes au quotidien. Grâce à l’école, il y a en a tout le temps, à tout heure. »
Un pied dans le réel
Au-delà de la formation, les jeunes élèves de l’école sont amenés au cours de leur cursus à voir vivre le théâtre sous tous ces aspects. « Tout au long des trois ans, explique le directeur du TNS, ils ont, en effet, la possibilité de voir des artistes qui répètent, de les croiser dans les couloirs, au bar – il y en a pas en ce moment, bien sûr – , d’échanger aussi facilement. Les grandes forces de l’Ecole du TNS, c’est de permettre à ses élèves de pouvoir toute l’année suivre des projets artistiques des balbutiements jusqu’à l’aboutissement, d’assister aux représentations autant de fois qu’ils le veulent, etc. C’est comme un cursus clandestin, supplémentaire qu’ils peuvent emprunter à leur guise. Ayant la possibilité d’aller à la rencontre des comédiens, des metteurs en scène, des scénographes, des dramaturges, des éclairagistes, etc, cela leur permet d’être un peu plus dans le réel, dans le concret de ce qu’est une création, mais aussi le fonctionnement d’un Centre d’art dramatique. »
Une école, cinq cursus
Tous les deux ans, en octobre, 26 jeunes artistes, sélectionnés sur concours, entrent au TNS pour suivre une formation de trois ans. Qu’ils soient acceptés en section mise en scène, dramaturgie, jeu, scénographie – costume ou régie-création (son, lumière, régie générale, etc.), tous se rencontrent et travaillent ensemble. « L’un des points forts de l’école du TNS, explique Stanislas Nordey, tous les cursus sont mélangés. Un comédien en herbe va étudier avec un éclairagiste en devenir. Ensemble, ils vont monter des projets, confronter leurs avis, leur regard. Les corps de métier se croisent, se conjuguent, s’épaulent. »
Texte d’hier, jeu d’aujourd’hui
Telle une souris, cachée dans un coin de la salle de répétition, il est fascinant d’observer les regards échangés entre la comédienne et les jeunes artistes, le ton mi-familier, mi-respecteux que chacun prend pour s’adresser à l’autre. Avec beaucoup de délicatesse, Dominique Reymond referme la parenthèse enchantée de cette discussion à bâtons rompus pour entrer dans le vif du sujet, les extraits de L’échange de Paul Claudel que les élèves en duo ont choisi de travailler . Dans la chaleur de la pièce tendue de noire, Juliette Bialek se glisse dans la peau de Marthe, une jeune femme pure, pétrie d’idéal et de référence biblique. Vincent Pacaud dans celle de Louis Laine, le mari volage. Avec précision, justesse, la comédienne, qui a interprété elle-aussi en 1986 sous la direction d’Antoine Vitez, l’épouse à l’âme trop belle, trop blanche, s’attarde sur l’importance des mots, de leurs sens. Elle fait reprendre chaque intonation.
Claudel en extraits
Puis, c’est au tour de Charlotte Issaly et Felipe Fonseca Nobre de rejouer la même scène. Instillant dans leurs personnages un peu de leur personnalité, de leur regard sur la société dépeinte par l’auteur du Soulier de satin, les jeunes artistes donnent des couleurs différentes au face à face entre l’homme et la femme, entre le mari libertin et l’épouse bafouée. Viendrons ensuite au plateau Gabriel Dahmani, Lucie Rouxel, Naïsha Randrianasolo, Manon Xardel, sous le regard de Jonathan Bénéteau de la Prairie, Hameza Elomari, Jade Emmanuel, Thomas Stachorsky et Yanis Boufferache, assis enlisent en face d’eux. Les heures passent, mais avec toujours le même souci du détail, Dominique Reymond pousse avec une belle générosité, une douce empathie ces graines d’acteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, le plus juste. Le journée s’achève. Elle fut intense, dense, riche d’apprentissage, de communion et d’entraide. Par les fenêtres ouvertes, le soleil décline sur la ville quasi endormie, le couvre feu est instauré depuis déjà une petite heure. Il reste juste un peu temps à Dominique Reymond de montrer quelques uns des croquis qu’elle esquisse au cours des répétions pour mieux apprendre son texte, ses placements, son rapports aux autres artistes. Le moment est touchant, joyeux. Il ouvre à tous de nouvelles perspectives, une autre approche du métier.
Olivier frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Strasbourg
Groupe 47 de l’Ecole du TNS
Stage de jeu avec Dominique Reymond
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez