À Rennes, salle Ropartz, gérée par l’Association Lillico, Martial Anton et Daniel Calvo Funes, fondateurs en 1995 de la Compagnie Tro-Héol, affinent Scalpel, la première partie d’un diptyque autour de la peur de vieillir, de l’apparence, de l’humain augmenté. S’inspirant des dérives de la chirurgie esthétique, ils s’emparent de la fable anticipatrice et noire qu’ils ont commandée à Alexandra-Shiva Mélis et signent un spectacle en devenir drôle autant qu’inquiétant.
Comme pour ne pas contredire ses détracteurs, la Bretagne se couvre d’un ciel gris, d’un manteau humide de crachins froids. Les autochtones vous le diront, hier, il faisait en temps merveilleux, vous n’avez vraiment pas de chance. Discrète, mystérieuse, la terre des druides cache ses beautés, ses trésors, derrière les sarcasmes et les préjugés. C’est au cœur de cette péninsule vallonnée et verdoyante, dans la commune Quemeneven, que la compagnie de marionnettes Tro-Héol, s’est installée. En raison des restrictions sanitaires, et faute de pouvoir présenter leur spectacle au public, les deux co-fondateurs, Martial Anton et Daniel Calvo Funes ont fait le choix d’ouvrir quelques filages à des professionnels.
Au cœur de la cité
Après être passé à côté du parc Thabor, avoir traversé les quartiers résidentielles, c’est au cœur de la cité du quartier Maurepas que se dresse dans un ancien gymnase scolaire, reconverti en lieu culture en 2005, la salle Guy Ropartz. Devant l’administratrice de la compagnie accueille chaleureusement quelques artistes curieux, un tout petit nombre de professionnels et une poignée de journalistes. Encore quelques minutes à patienter, et l’on pourra pénétrer dans le bâtiment. Malgré le temps, l’ambiance est joyeuse, le plaisir de voir enfin un peu de vivant donne aux chanceux spectateurs du baume au cœur.
Un avenir au bistouri
Questionnant le futur, s’interrogeant sur le devenir d’une société de plus en plus tournée sur l’apparence, le duo Martial Anton et Daniel Calvo Funes a proposé à l’auteure, marionnettiste et menteuse en scène Alexandra-Shiva Mélis d’imaginer un conte d’anticipation. Puisant dans des œuvres fortes, tel Brazil de Terry Gilliam ou Bienvenue à Gattaca d’Andrew Nicol, elle rêve un monde où seuls les êtres beaux et parfaits font partie de l’élite, les autres étant relégués aux rôles de sous-fifres. Pas le choix, Emma (marionnette manipulée avec dextérité par la comédienne Mélanie Depuiset), jeune femme au physique quelconque, doit pour évoluer, pour sortir de sa condition, passer sous le bistouri pour devenir une autre, bien plus belle, bien plus accorte. Ayant économisé suffisamment pour s’offrir un corps idéal, c’est toute guillerette qu’elle prend rendez-vous avec un chirurgien esthétique (détonnant Frédéric Rebière).
Du rêve au cauchemar
Sorte de docteur Frankenstein des temps modernes, de Pygmalion fou, le médecin décide de transformer totalement la pauvre Emma, d’effacer le corps et le visage que mère nature lui a octroyé pour la réinventer totalement, l’implanter dans une silhouette entièrement remaniée. Le résultat est bien évidement catastrophique. Coincée dans une entité mi-robotique, mi-organique, la jeune femme n’a d’autres choix que d’accepter de n’être plus rien. Entre cynisme, condescendance et cupidité, entre naïveté et crédulité, l’auteure balade le spectateur dans un univers aussi sombre que drôle, aussi angoissant que surréaliste. Plume acérée, mordante, elle égratigne nos sociétés contemporaines par trop superficielles.
Des lendemains déshumanisés
Sélectionné en 2019 pour participer au festival Onze, Scalpel est la première partie d’un diptyque consacré aux dérives liées à la peur de vieillir, d’entrer coûte que coûte dans la norme. S’adressant à un public âgé d’au moins treize ans, l’œuvre conçue par la compagnie Tro-Héol pour être facilement transportable, que ce soit dans une classe d’école ou en extérieur, se veut une satire de notre époque, des normes imposées par la mode, par les magazines, par la société elle-même. Forçant à réfléchir sur ce que nos comportements d’aujourd’hui pourraient entraîner dans un futur proche, cette forme légère devrait, quand elle sera achevée et présentée enfin au public, faire grincer quelques dents.
Travail en cours
Dans le but de faire réagir les futurs spectateurs, l’esthétisme imaginé par Martial Anton et Daniel Calvo Funes tire son essence dans une forme de fantasmagorie, de burlesque « trash ». Rappelant quelque peu, son épatante grande sœur Hen, la marionnette transgenre de Johanny Bert, Emma, l’ingénue, se transforme au fil du temps en monstre de foire. Il manque encore au personnage une densité pour totalement embarquer, toucher juste. Encore frais, pas totalement fini, Scalpel a encore besoin de prendre ses marques, de s’étoffer, de se frotter au public. Le final abrupte a de quoi surprendre. Tout est là, bien sûr, sauf le public, élément essentiel pour donner le la à une œuvre. C’est peut-être à cet endroit, qu’il y a encore de belles choses à faire, à ciseler pour que le spectacle trouve sa route, son chemin.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Rennes
Scalpel d’Alexandra-Shiva Mélis
Cie Tro-Héol
Présentation professionnelle février 2021, Salle Guy Ropartz
14 rue Guy Ropartz
RENNES
Association LILLICO – Scène de territoire pour l’enfance et la jeunesse
Mise en scène de Martial Anton et Daniel Calvo Funes
Avec Mélanie Depuiset et Frédéric Rebière
Marionnettes de Daniel Calvo Funes
Accessoires de Daniel Calvo Funes et Rosario Alarcon
Scénographie de Martial Anton et Daniel Calvo Funes
Musique et création sonore de DEF
Création lumière de Martial Anton
Construction décors de Thomas Civel (avec Christophe Derrien)
Confection des costumes de Maud Risselin
Crédit photos © Martial Anton