Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Philippe Torreton et Anne Brochet. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Dans les coulisses de Tout mon Amour de Mauvignier, monté par Arnaud Meunier

A la Comédie de Saint-Étienne, Arnaud Meunier, répète sa prochaine création, tout mon amour de Laurent Mauvignier.

Derrière les portes fermées au public de la Comédie de Saint-Étienne, Arnaud Meunier, remplacé au 1er mars à la tête des lieux par Benoît Lambert, répète sa prochaine création. Habité depuis longtemps par Tout mon amour, la première pièce du romancier Laurent Mauvignier, le tout nouveau directeur de la MC2 de Grenoble insuffle la vie aux maux d’une famille rongée par un trop lourd secret. 

Il est 7 heures du matin. Le réveil vient de sonner. Il fait gris dehors, un temps à rester sous la couette. Pas une minute à perdre, à plus de 550 kilomètres, Arnaud Meunier et son équipe se préparent à une journée d’intenses répétitions. L’affiche est alléchante. Un face à face, Anne BrochetPhilippe Torretonça claque. Métro, TGV, TER, les paysages défilent tantôt gris, tantôt verdoyants. Refaite à neuf, la gare de Saint-Étienne, toute de briques revêtue, accueillent joliment les nouveaux arrivants. Un dernier trajet en tram, et derrière un immense hangar sombre, apparait le rouge carmin, reconnaissable entre mille, de de la Comédie de Saint-Etienne. Installé dans les murs d’une ancienne manufacture entièrement réhabilitée, le théâtre stéphanois se compose de deux belles salles, d’un grand et long hall. De beaux volumes permettent une belle aération des lieux. En ce jeudi de la mi-février, il semble bien vide. Juste quelques étudiants de L’École supérieur d’art dramatique profitent d’une pause pour s’échauffer, grignoter, se détendre. 

Une équipe soudée
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Notes. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Un peu plus, au niveau du restaurant fermé depuis la fin octobre, l’équipe du Mauvignier déjeune. Chacun à bonne distance l’un de l’autre, respectant ainsi à la lettre les règles sanitaires, ils échangent sur les répétitions de la vieille, sur ce qu’ils vont faire de leur week-end. L’ambiance est bonne enfant. L’après-midi va être intense, un filage puis des reprises point par point des transitions qui restent encore à fixer. Tout le monde se prépare à sa manière. L’un va fumer dehors une cigarette, l’autre prend le temps de déguster un café. Tranquillement, l’heure de fouler les planches approche. Il est temps pour les comédiens de rejoindre les loges et de s’habiller. 

Le choix d’un texte, d’un auteur
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Ambre Febvre. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

En attendant le 1er mars, l’arrivée de Benoît Lambert, son successeur à la tête de la Comédie de Saint-Étienne, Arnaud Meunier fait de réguliers aller-retour avec la MC2 de Grenoble, dont il a pris les rênes en tout début d’année. En attendant de pouvoir présenter sa dernière création, dès que les théâtres rouvriront, il travaille avec ses comédiens et son équipe technique les derniers ajustements. « J’ai lu Tout mon amour, raconte-t-il, en 2012 à sa parution. Il faisait partie des textes sélectionnés par le comité de lecture de la Comédie. C’était un vrai choc, une belle découverte. Pour sa première insertion au théâtre, Laurent Mauvignier a été particulièrement inspiré. J’ai très vite eu envie de m’en emparer, de l’adapter. » Malheureusement pour le metteur en scène, la pièce est une commande du Collectif Les Possédés de Rodolphe Dana au romancier. La production est déjà en cours. « Du coup, explique Arnaud Meunierle texte m’a depuis toujours accompagné. Par la suite, j’ai eu l’occasion de rencontrer Laurent (Mauvignier), que j’ai encouragé vivement à continuer dans cette voie. Il a une dramaturgie magistralement dosée, qui jongle avec les personnages, les dialogues croisés, simultanés. C’est écrit comme une partition de musique où tout est savamment orchestré, les silences, les flottements, les interruptions de parole, les superpositions de voix. C’est d’une telle précision. Lorsqu’ il m’a proposé un autre texte, j’étais tellement fasciné par cette première pièce, hanté on pourrait dire, que j’ai eu besoin de la monter avant de passer après à autre chose. »

Torreton, un désir puissant de retravailler ensemble
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Philippe Torreton et Jean-François Lapalus. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Sur scène, Philippe Torreton fait face à Anne Brochet. Le duo fonctionne à merveille. Ils se glissent avec virtuosité dans la peau d’un couple solide en apparence, qui semble avoir survécu aux épreuves du temps. Mariés depuis une vingtaine d’années, ils pénètrent pour la première fois depuis dix ans dans la maison familiale. Très vite, derrière la belle harmonie, des fêlures apparaissent, des rancœurs tues et des secrets enfouis tentent de ressurgir. Lui semble tellement abimé, tellement fragile, elle lunaire, mais terriblement déterminée à ne réveiller aucun des fantômes qui hantent les lieux. « Les réunir sur un plateau, souligne Arnaud Meunierest une très belle surprise. Après l’expérience de J’ai pris mon père sur mes épaules, la pièce de Fabrice Melquiot que j’ai montée, il ya deux ans, Philippe (Torreton) m’a tout de suite dit qu’il voulait être de mon prochain projet, sans savoir ce qu’il serait. Je n’étais pas sûr qu’il aurait envie de jouer ce personnage, si loin de ses rôles habituels. Il l’a lu. Il a été interloqué, mais après réflexion, il a souhaité en être. »  

Anne Brochet, une évidence 
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Philippe Torreton et Anne Brochet. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Une fois le père trouvé, il faut à Arnaud Meunier trouver une comédienne à sa mesure, qui puisse jouer sur plusieurs registres qui vont de l’évanescence à une forme de puissante terrienne. « J’ai eu un déclic, se souvient le metteur en scène, en la voyant dans Architecture de Pascal Rambert, dans la cour d’honneur du festival d’Avignon. Il y avait longtemps que je ne l’avais pas vu jouer au théâtre. Elle m’a troublée, un mélange de force et de fragilité, qui correspondait à ce que je cherchais pour le personnage très singulier de la mère. Très vite, Stanislas Nordey et Arthur Nauzycielqui l’ont eue comme partenaire de jeu, me l’on chaudement recommandée. Je dois les remercier car cela a été une rencontre très forte dans le travail. » Cette pièce se joue sur une crête, il faut oser fendre l’armure sans tomber dans le sirupeux. Le dosage est délicat. « Avec Anne, souligne-t-il, ce qui est fascinant, c’est qu’elle ose des versions très différentes d’un filage à l’autre. Elle cherche en permanence à tester les limites de son personnage, de cette mère si singulière. Elle propose plein de tessitures différentes. J’ai ainsi de riches matières à composer. » Tel un chef d’orchestre, Arnaud Meunier cherche les tempi, joue avec les accélérations de rythme, les ralentis. Quand, il conseille les comédiens, les dirige, il utilise souvent un vocabulaire emprunté à la musique. 

Un travail de minutie
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Philippe Torreton et Anne Brochet. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Au plateau, les cinq artistes – Anne Brochet, Romain Fauroux, Ambre Febvre, Jean-François Lapalus, Philippe Torreton – évoluent dans une scénographie modulable signée Pierre Nouvel, qui joue sur les ombres, les lumières, les cloisons transparentes qui permet en un clin d’œil de passer du salon à la salle à manger, du devant de la maison à celui d’une caravane. Par petits bouts, ils reprennent les transitions, les placements, l’objectif fluidifier au maximum les mouvements, tout rendre naturel. En parallèle, Arnaud Meunier cisèle avec Aurélien Guettard, les lumières. Tout est revu dans le détail pour servir au mieux le texte, lui insuffler vie. Si tout réclame attention et minutie, l’ambiance reste particulièrement sereine. Après le filage, le metteur en scène se met à la place des comédiens. On sent le besoin d’éprouver la scène, de tester par lui-même telle ou telle variation. On ressent l’harmonie de cette équipe soudée. Malgré l’inquiétude grandissante concernant la tournée, qui risque d’être réduite cette saison à peau de chagrin, rien n’entame la volonté de jouer, de donner le meilleur d’eux-mêmes. 

Dernière création avant un moment
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

Ayant pris les commandes d’une scène nationale de grande ampleur, la MC2 de Grenoble, Arnaud Meunier a pris la décision face aux enjeux qui l’attendent de mettre un temps en pause l’artistique. « En prenant la tête d’une scène nationale de cette ampleur, explique-t-il, je n’aurais que peu de temps pour aller au plateau créer du moins au début. Je dois y faire mes preuves d’autant que le navire est immense et que c’est plutôt rare de confier de tel lieu à des artistes. Une histoire d’étiquette, très franco-français. Par ailleurs, en dix ans à la Comédie de Saint-Etienne, j’ai pris goût à l’accompagnement des projets des autres, à produire, à diriger une belle équipe, à découvrir de nouveaux talents. C’est ce que j’ai fait notamment avec le duo Émilie Capliez – Matthieu Cruciani, avec la chorégraphe Alice Laloy ou l’auteure, comédienne et metteuse en scène franco-irakienne, Tamara Al Saadi. C’est passionnant de rentrer dans l’univers des autres, se laisser porter. »

Baisser de rideau
Tout mon amour de Laurent Mauvignier. Mise en scène d' Arnaud Meunier. Ambre Febvre et Romain Fauroux. Comédie de Saint-Etienne. © Sonia Barcet

La journée s’achève. Elle fut intense, passionnante. Un filage, des répétions, une équipe au travail, et ainsi sentir le pouls d’un spectacle en devenir. Redécouvrir une éblouissante artiste à la scène, être encore bluffé par le jeu d’un comédien très populaire, séduit par la performance d’un jeune premier, s’attacher aux tout jeunes pas d’une jeune actrice, être attrapé par la présence tellurienne d’un tragédien trop souvent cantonné au second rôle, entendre un texte puissant, mystérieux. C’est tout ça la magie d’Arnaud Meunier, un mélange de délicatesse, d’engagement et de malice. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Tout mon amour de Laurent Mauvignier
En répétition à la Comédie de Saint-Etienne

mise en scène d’Arnaud Meunier assisté de Parelle Gervasoni
collaboration artistique – Elsa Imbert
avec Anne Brochet, Romain Fauroux, Ambre Febvre, Jean-François Lapalus, Philippe Torreton 
scénographie de Pierre Nouvel
création lumière d’Aurélien Guettard
création musicale de Patrick De Oliveira
costumes d’Anne Autran
coiffure et maquillage de Cécile Kretschmar

décor et costumes – Ateliers de La Comédie de Saint-Étienne | avec Anne Brochet, Romain Fauroux*, Ambre Febvre*, Jean-François Lapalus, Philippe Torreton | © Diego Bresani * issu.e.s de L’École de la Comédie production La Comédie de Saint-Étienne – CDN

Crédit photos © Sonia Barcet

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