Encore une bien triste nouvelle qui met à nouveau du chagrin dans nos cœurs, Jean-Claude Carrière est décédé lundi 8 février à l’âge de 89 ans. Homme de lettres, et je dirais même homme de l’être, il a rayonné sur le théâtre et le cinéma, nous procurant de grands bonheurs. Au revoir Monsieur, vous allez nous manquer.
Jean-Claude Carrière est mort de la façon la plus naturelle, dans son sommeil, et l’on veut bien imaginer le plus sereinement possible, avec toute la sagesse de ceux qui ne craignent pas la mort. Comment ne pas songer à son excellent recueil d’entretiens avec le Dalaï-Lama, La force du Bouddhisme : mieux vivre dans le monde d’aujourd’hui. Cet ouvrage, paru en 1994, en pleine vogue bouddhiste en occident, nous amenait à réfléchir sur ce qu’était cette philosophie, cette religion, quelle réponse elle pouvait apporter aux maux de notre société moderne. Je me souviens de la beauté des mots mais aussi de ce ton plein de bienveillance sur les êtres, la vie et la mort.
Un grand et impressionnant conteur
Il était intimidant avec sa grande taille et pourtant il semblait évident qu’il était accessible. En dehors d’un bredouillant bonjour lorsque je le croisais, je n’ai jamais échangé de mot avec Jean-Claude Carrière. Je le regrette. Chacun de ses passages à la télévision, à la radio, chacun de ses écrits, réflexions étaient impressionnants. Il y avait sa voix, douce, posée qui exprimait des propos nets et précis, celle des conteurs. C’est ainsi qu’il se définissait. On se sentait intelligent lorsqu’il parlait. Il savait aussi être drôle, avec cette finesse des grands esprits. N’oublions pas qu’il était membre de l’Académie Alphonse Allais.
Scénariste de tous les cinémas
C’est par l’humour qu’il a commencé sa carrière de scénariste auprès de Pierre Etaix, ce clown merveilleux qui faisait rimer poésie et burlesque. Lorsque l’on regarde de plus près sa filmographie, on est tout de suite surpris par sa diversité et son éclectisme, on va de Julie Pot de Colle à la Chair de l’Orchidée, en passant par La Piscine, Borsalino, Un papillon sur l’épaule, Le Tambour, Syngué Sabour, Le retour de Martin Guerre (qui lui valut un César), Milou en Mai, Valmont et bien évidemment les films de Buñuel comme Le Journal d’une femme de chambre, Belle de jour et Le charme discret de la bourgeoisie. Ce n’est pas pour rien que l’Académie des Oscars lui a décerné en 2014, un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière.
Un auteur de théâtre
Cet éclectisme on le retrouve également dans son œuvre théâtrale, en tant qu’auteur, en tant qu’adaptateur. Sur le ton de la comédie bourgeoise, il parlait des liens amoureux comme dans L’aide-mémoire, dont j’avais vu la version de 1993, avec Jane Birkin et Pierre Arditi, mise en scène par Bernard Murat. Sous une plume pleine d’esprit, il égrenait un vocabulaire érotique, dans Les mots et la chose, interprété malicieusement par Jean-Pierre Marielle et Agathe Natanson. Mon premier souvenir de son travail d’adaptateur remonte à ma jeunesse, lorsque je vis à la télévision Harold et Maude, avec Madeleine Renaud dans la mise en scène de Jean-Louis Barrault. Mais la véritable rencontre artistique a eu lieu avec La tempête de Shakespeare, mise en scène par Peter Brook au théâtre des Bouffes du Nord. Ensuite, grâce aux dvds, j’ai pu découvrir Le Mahâbarata, La Cerisaie, La conférence des oiseaux, Timon d’Athènes, cette belle et longue collaboration avec Peter Brook, qui marquera pour toujours l’art théâtral. Plus récemment, il avait participer à la dernière création de Kaori Ito, Le tambour de soie, présenté lors en octobre dernier à la Semaine d’Arts en Avignon.
Un amoureux des livres
Il y en aurait à écrire sur ce grand auteur, cet homme qui en ces temps troubles aurait encore des choses à nous dire. Comme j’aime le titre de son livre co-écrit avec Umberto Éco, N’espérez pas vous débarrasser des livres ! Comme j’aime ce passage dans Du nouveau dans l’invisible, que je vous invite à découvrir dans Babélio, et pour finir je reprendrai les mots de Jean-Michel Ribes : Merci Jean-Claude d’avoir toujours labouré la réalité pour y semer autre chose. Continue là-haut !
Marie Céline Nivière
Le tambour de soie, un nô moderne de Kaori Ito et Yoshi Oïda
Texte de Jean-Claude Carrière inspiré de Yukio Mishima
Semaine d’Art en Avignon – Festival d’Avignon
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