Dans le cadre du festival international Momix de Kingerheim, dédié aux spectacles jeune public, Lionel Lingelser présente une ébauche déjà bien ciselée d’un solo intime et personnel, Les possédés d’Illfurth. Confiant ses souvenirs à Yann Verburgh, il invite sur scène les fantômes et les démons qui ont façonné l’artiste solaire et prodigieux qu’il est devenu. Une œuvre incandescente, folle, d’un comédien qui brûle littéralement les planches.
En ce dernier week-end de janvier, le soleil boude l’Alsace. La pluie tombe, froide, drue, sur le centre-ville de Mulhouse. Les roses, les ocres, les verts des façades typiques de la Renaissance rhénane contrastent magnifiquement avec le gris du ciel. Animées par les soldes, les rues piétonnes fourmillent de monde. Observant cette faune hétéroclite, où se mêlent les habitants riches des beaux quartiers venus en Cayenne, les démunis, les marginaux, une scène troublante, touchante, solidaire, sautent aux yeux. Deux femmes, une mère et sa fille, discutent avec un homme assis par terre. Elles lui offrent un sac rempli de nourriture. Un souffle d’humanité qui ne peut qu’émouvoir en cette période de grande détresse sociale.
Direction Kingerheim
Pas le temps de s’appesantir, il faut prendre la route pour Kingerheim, un village de la banlieue mulhousienne, où a grandi le comédien Lionel Lingelser. Au CREA, lieu de pratiques artistiques et de loisirs qualitatifs, qui depuis 2006 a obtenu le label, Scène Conventionnée Jeune Public, on est loin de la foule des grands jours. Momix, festival de référence dans le domaine du spectacle jeune public, se tient à Huis clos pour une poignée de professionnels. Ici, on ne rigole pas avec les consignes sanitaires. Gel à tous les étages, documents à fournir, distanciation sociale, tout est fait pour permettre, malgré tout, que la manifestation puisse avoir lieu grâce à une programmation réduite et ajustée. Lectures le matin, spectacles l’après-midi, du 28 janvier au 7 février 2021, quelques programmateurs et diffuseurs pourront ainsi découvrir certaines créations, dont la plupart seront visibles pour le public alsacien, grâce aux reports souhaités par Philippe Schlienger, directeur du festival et toute son équipe.
Retour en enfance
A l’espace Tival, dans la salle même où le Munstrum théâtre, compagnie que Lionel Lingelser a créé avec son complice, son double, Louis Arene, a monté et répété son tout premier spectacle, l’alsacien de 36 ans plonge dans ses souvenirs. De son enfance à ses premiers pas sur les planches de la Filature en 2010, il tire les fils d’une mémoire hantée par une multitude de fantômes, convoque ses démons intimes à coups répétés de tambour. Rebaptisé Hélios par la plume ciselée de Yann Verburgh, à qui il a livré ses blessures, ses fêlures, le comédien se réapproprie un corps, une vie, une identité lumineuse.
Histoire d’une renaissance
A l’ombre de la ferme de ses grands-parents, plane la présence spectrale des petits Possédés d’Illfurth. Un événement devenu légende, celle de jeunes garçons atteints d’un mal mystérieux, dont l’exorcisme dans la seconde moitié du XIXe siècle défraya la chronique du Sundgau, territoire situé dans le Sud de l’Alsace, et entra dans l’histoire ecclésiastique comme étant le dernier cas de possession démoniaque de la région. Point de départ de son introspection, provoquée par un metteur en scène un peu trop zélé, un brin « hystéro », ce récit est comme une renaissance sur scène d’un passé douloureux, celui d’une autre possession, celle d’un bonhomme de onze ans par un de ses camarades de basket. Forgé par ce viol répété, par cette emprise sur son corps d’adolescent, Hélios, jeune homme timide, se construit, révèle sa vraie nature, celle d’un artiste solaire.
Un comédien dans tous ses états
Épaulé dans sa démarche par Louis Arene, Lionel Lingelser se met en scène et attrape à bras le corps son histoire. Sur les planches, il libère sa parole et livre une partition flamboyante, folle. Présence lumineuse, visage d’ange, l’artiste embrase un texte qui lui est cher, en sublime les mots, les digressions, les moindres inflexions. Passant du rire aux larmes, de la pure aliénation au plus grand sérieux, il brûle les planches et emporte toute la salle – que des pros – dans sa fougue, sa rage, sa résilience. Conquis, pris aux tripes, exsangue, le public applaudit à tout rompre un comédien unique, rare, qui accepte sans filet de se mettre en danger avec candeur et générosité.
Une première attendue
Reportée à de multiples reprises en raison de la fermeture des salles de spectacle au public, Les Possédés d’Ilffurth, solo très personnel, a eu bien du mal à voir le jour. Muri depuis plusieurs années, il doit sa création à huis-clos, grâce au soutien sans faille de Benoit André, directeur de la Filature et du directeur de Momix. Bien sûr, ce n’est qu’une étape de travail avant la vraie première, que l’on espère en mars dans le cadre La filature nomade, mais déjà tout est là. Chapeau l’artiste et longue vie à ce seul-en-scène drôle, humain, terriblement prenant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les possédés d’Illfurth d’Yann Verburgh en collaboration avec Lionel Lingelser
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
Du 14 mai au 1er juin 2024.
1h25
Festival Avignon Off – La Manufacture
2 bis rue des Ecoles 84000 Avignon
Du 7 au 26 juillet 2022 à 19h35, relâche les 13, 20 juillet
Munstrum Théâtre
Création à huis clos au festival Momix
Espace Tival
Kingerheim
Tournée
Lundi 1er février 2021 – Représentation au Lycée Stoessel dans le cadre du Festival Momix
Les 19 et 20 mars à La Filature, scène nationale de Mulhouse Vendredi 19 mars 2021 – 19h Samedi 19 mars 2021 à 15h et 19h
Dans le cadre de La Filature nomade :
le 23 mars 2021 à la Salle polyvalente de Petit-Landau
le 24 mars 2021 à la Maison des Œuvres d’Illfurth
le 25 mars 2020 au Foyer ACL de Berrwiller
le 26 mars 2021 à la Halle au Blé d’Altkirch
le 27 mars 2021 au Foyer Saint Erasme d’Uffholtz
le 28 mars 2021 à la Salle Edouard Kessler de Koetzingue
le 30 mars 2021 au Lycée Schweitzer
le 31 mars 2021 à la Maison d’arrêt de Mulhouse
le 1er avril 2021 à Ensisheim
le 8 avril 2021 au Centre de Réadaptations de Mulhouse
le 9 avril 2021 à la Maison centrale d’Ensisheim
le 10 avril 2021 à la Salle de l’ancienne gare de Lautenbach
Du 15 au 18 juillet 2021 au Festival Scènes de rue, Mulhouse
Mise en scène et interprétation Lionel Lingelser
Collaboration artistique de Louis Arene
Création lumière de Victor Arancio
Création sonore de Claudius Pan
Régie de Ludovic Enderlen
Crédit photos © Jean-Louis Fernandez et © Claudius Pan