Derrière les portes fermées au public du TNS, Hubert Colas s’empare des mots de Sonia Chiambretto et esquisse le portrait kaléidoscopique d’une jeunesse algéroise à trois moments clés de son histoire : l’Indépendance, la décennie noire et un futur en construction. En devenir, le spectacle Superstructure laisse déjà entrevoir une architecture entre tradition et brutalisme, autant âpre que sensible.
Par la fenêtre du TGV, direction Strasbourg, les paysages défilent. Certains enneigés, d’autres inondés invitent aux songes d’un autre temps, d’une autre époque, d’une autre vie. Propice à la déconnexion avec le quotidien, cette villégiature vers l’Est rappelle d’autres voyages, la découverte du Pays Lointain de Lagarce, monté par Clément Hervieu-Léger, l’immersion de Vassilliev dans l’univers de Tchekhov, la fougue d’une jeunesse européenne en mal de vivre sous le regard bienveillant et rock de Falk Richter.
L’urbanisme comme point de départ
De la gare au théâtre, le tram sillonne le centre-ville permettant de découvrir la richesse architecturale de la capitale européenne. Façades « art déco », maisons à colombages, bâtiments brutalistes, le trajet est un voyage à travers les époques, les styles. C’est un parfait prologue pour découvrir Superstructure, l’adaptation par Hubert Colas du roman de Sonia Chiambretto. Esquissant le projet de donner la parole à la jeunesse algéroise des années 1960 à nos jours, l’auteure s’empare de la ville à travers Obus, le projet fou de Le Corbusier, qui rêve de réhabiliter, de « respatialiser » la blanche cité. « Je souhaitais, explique-t-elle, donner des envolées futuristes à mon roman et ainsi traverser les époques, imaginer un avenir. Créer une ville dystopique, rappelant celle imaginée par l’architecte de la Cité Radieuse, pour soutenir le texte, était le moyen d’associer, d’entremêler les différentes couches de mémoires que je voulais interroger, comme la guerre d’indépendance, la décolonisation et la décennie noire. »
Un récit choral
Ni épopée, ni théâtre documentaire, Superstructure donne vie à des figures anonymes de la jeunesse algéroise traversée par l’histoire. Du maquis aux rues vivantes d’Alger, c’est tout un monde qui vit sous nos yeux. Avec délicatesse et ingéniosité, Hubert Colas habite les mots de Sonia Chiambretto, donne corps à ces garçons, ces filles, ces hommes et ces femmes, vibrants, humains confrontés à la barbarie, à la violence, mais animés d’une fièvre, d’une urgence de vivre. Dans un décor épuré, un dalle blanche rappelant l’un des surnoms de la capitale algérienne, un écran en fond de scène, cinq comédiens – Mehmet Bozkurt, Emile-Samory Fofana, Brahim Koutari, Lucas Sanchez, Manuel Vallade – et trois comédiennes – Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Nastassja Tanner – donnent leurs voix à tout un peuple en quête d’un avenir. Ne plus se taire, en finir avec les fantômes du passé, aller de l’avant motivent ce récit choral où le temps n’a pas de prise, les époques se mêlent.
Poétique mise en scène
La plume de Sonia Chiambretto est sèche, rugueuse. Elle est sans concession. Elle creuse jusqu’à l’os, ne cherche pas à enrober une parole enfin libre, sans tabou. Pour la rendre audible, humaine, il fallait tout l’art poétique d’Hubert Colas. Avec finesse, il invite à un voyage entre mémoire et fiction, entre drame et rêve utopique, et ébauche un spectacle nécessaire sur un pays en pleine mutation.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Strasbourg
Superstructure d’après Gratte-Ciel de Sonia Chiambretto
Résidence de création au TNS
Mise en scène et scénographie d’Hubert Colas
Avec Mehmet Bozkurt, Emile-Samory Fofana, Brahim Koutari, Isabelle Mouchard, Perle Palombe, Lucas Sanchez, Nastassja Tanner, Manuel Vallade
Lumière de Fabien Sanchez & Hubert Colas
Son de Frédéric Viénot
Costumes de Fred Cambier
Vidéo de Pierre Nouvel
Assistanat à la mise en scène – Salomé Michel
Stagiaire assistanat mise en scène – Pierre Itzkovitch
Assistanat à la scénographie – Andrea Baglione
Crédit photos © Hervé Bellamy