Décédée cette année, en juillet, à l’âge de 93 ans, Gisèle Halimi, livre, avec la complicité de la journaliste Annick Cojean, son ultime et posthume message féministe et engagé dans Une farouche liberté. Tout en racontant sa vie, la célèbre avocate transmet le flambeau de ses combats aux femmes d’aujourd’hui et de demain.
Indignée, Gisèle Halimi l’a toujours été. De l’aube de sa vie, où elle découvre la malédiction d’être née fille dans un monde patriarcal et machiste, au crépuscule d’une existence vécue sans concession, où malgré le chemin parcouru, les combats gagnés, tout est encore à faire, l’avocate née à La Goulette en Tunisie n’a cessé de relever les défis, de se construire, de « devenir une féministe ». En se racontant dans Une farouche liberté, elle a à cœur de faire changer le monde de demain.
Rebelle au patriarcat
Icône d’un féminisme viscéral, humaniste, Gisèle Halimi a voué sa vie à une certaine et noble idée de la justice, de l’égalité. Devenue avocate par conviction, elle a toujours eu à cœur de changer le monde. En collaboration avec la journaliste au Monde, Annick Cojean, elle revient sous forme d’un entretien fleuve sur les grands moments de sa vie, ceux qui ont marqué à jamais son histoire, celle d’une combattante, d’une révoltée, d’une femme rêvant d’égalité. Élevée au sein d’une famille juive modeste, elle apprend vite qu’elle est née pour servir l’Homme. « C’est pas juste ! » répète-t-elle à son père, à sa mère. Elle refuse cet état de fait établi depuis des siècles, qui veut que la femme soit soumise. Personne ne l’écoute, elle entame donc à dix ans une grève de la faim. Effrayés, ses parents cèdent et la libèrent de ses obligations envers ses frères. Première victoire, premier pas vers une émancipation tant désirée, première étape pour changer le monde.
L’injustice en horreur
Très vite, la fillette comprend que pour se libérer de toute domination masculine, il lui faut apprendre, étudier. Passionnée, elle lit en cachette la nuit dans sa chambre les romans de Hugo, de Stendhal, elle dévore tout ce qui lui permet de découvrir la France. Toujours première, elle brille dans son cursus scolaire. Le bac en poche, elle quitte sa terre natale pour Paris. Pugnace, elle suit des cours de droits et de philosophie. Son refus de l’injustice et son combat contre les inégalités entre les sexes, vont décider de sa voie. Avocate, elle rêve d’être, avocate elle sera. Femme dans un monde d’hommes, elle lutte en permanence contre leur condescendance, leurs regards en biais. Elle s’affirme au fil de procès éminemment politiques, bien décidée à faire évoluer les esprits et la loi.
Des lois à changer
Aidée par des amis sincères comme Simone de Beauvoir, Jean-Paul Sartre, Jacques Monod ou Jean Rostand, Gisèle Halimi fourbit ses armes. Travailleuse acharnée, connaissant sur le bout des doigts tous ses dossiers, elle fait face aux présidents Coty et De Gaulle pour demander la grâce de ses clients condamnés à mort. Profondément humaniste, prise dans la tourmente de l’indépendance de la Tunisie, de la guerre d’Algérie, elle dénonce la torture par le viol en défendant la cause de la militante indépendantiste Djamila Boupacha ; brise le tabou de l’avortement en 1972 à travers le procès de Bobigny, qui conduira en 1975 à la promulgation de la loi Veil sur l’interruption volontaire de grossesse ; prend faits et causes en 1978 pour Anne Tonglet et Araceli Castellano, deux jeunes belges victimes d’un viol collectif, un procès retentissant qui aboutit deux ans plus tard à modifier la définition du viol.
Féministe corps et âme
Signataire du « manifeste des 343 » en 1971 pour en finir avec les avortements clandestins, elle fonde dans la foulée avec ses amis Simone de Beauvoir et Jean Rostand, le mouvement Choisir la cause des femmes, devenu depuis une ONG. Mère de trois fils par choix, députée, apparentée PS, ambassadrice auprès de l’Unesco, elle continue coûte que coûte ses combats. De désillusions en petites victoires, Gisèle Halimi ne perd ni espoir, ni rage. Épaulée par son compagnon de cœur et de route, Claude Faux, elle lutte contre toutes les formes d’inégalités. Aux côtés de Robert Badinter, elle travaille à l’écriture de la loi abrogeant la distinction de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels.
Portrait de femme
Répondant avec verve, lucidité et humanité aux questions d’Annick Cojean, Gisèle Halimi esquisse au fil des pages un autoportrait vibrant et touchant. Revenant sur ses combats, sur les mouvements féministes qui ont bouleversé nos sociétés depuis plus de 70 ans, elle rêve d’un autre monde, meilleur et plus égalitaire. Entourée de sa famille de cœur, dont font partie les Bedos, Louis Aragon, Elsa Triolet et Françoise Sagan, elle n’a jamais cessé de s’adresser aux femmes, de les exhorter à continuer la lutte, de ne pas se contenter d’un #Metoo, d’aller plus loin, de ne jamais croire que les avancées étaient acquises.
Appelant de ses vœux jusqu’à son dernier souffle, une révolution féministe salvatrice, qui malgré les colères, les injustices flagrantes, n’a toujours pas eu lieu, l’infatigable et intransigeante militante, qui a toujours cru que faire avancer les droits des femmes, s’est faire avancer nos sociétés, signe avec Une farouche liberté, un ouvrage nécessaire, un manifeste pour les féministes de demain.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Une farouche liberté, de Gisèle Halimi avec Annick Cojean
Éditions Grasset
160 pages
14,90 euros
Paru en librairie le 19 août 2020.
Crédit portrait de Gisèle Halimi avec l’aimable autorisation © Franck Pédersol – Photo non libre de droits.
Crédit portrait d’Annick Cojean © Tina Merandon
Crédit photos © Marie-Lan Nguyen – Wikimedia commons