Comédienne, circassienne, Vimala Pons aime les défis et les nouvelles expériences. Avec sa dernière création, Mémoires de l’Homme Fente, l’artiste plurielle s’essaye à un tout nouveau genre de médium et invente le « film sans images ». Entremêlant récits, sons et musiques, elle signe une œuvre singulière et tisse avec malice la biographie fictive d’un peintre hongrois né en 1957.
Comment l’art vivant est-il entré dans votre vie et quel a été le déclencheur qui vous a décidé à en faire votre métier ?
Vimala Pons : Le déclencheur se situerait entre les souvenirs du manga City Hunter (Nicky Larson), pour la mise en rapport de grands moments d’actions, de sérieux kitchs et de ridicules épouvantables, mais aussi dans le visionnage de la captation du Cendrillon des ballets de Lyon, chorégraphiés par Maguy Marin, en passant par la visite annuelle du Salon Nautique, Porte de Versailles à Paris, avec mon père, sans oublier Mademoiselle Pinot, ma professeure de littérature aux pantalons ajustés, qui nous emmenait voir DV8 au Théâtre de la Ville. Pour comprendre la manière dont tout cela fait sens dans mon approche artistique, il est juste d’y adjoindre aussi les cours magistraux sur le montage de Dominique Villain à la Fac de cinéma à Saint-Denis.
Femme orchestre, touchant à de nombreux arts, comment vous définiriez vous en tant qu’artiste ?
Vimala Pons : A vrai dire, je ne me définis pas, je fais. J’essaie de rester concentrée. Pour moi c’est le rapport intime à la discipline qui est important. J’essaie de rester joyeuse. C’est le lien précieux au jeu, à l’humour qui fait de moi ce que je suis, ce que je crée. Pour cela, tous les prétextes sont bons.
Avec Mémoire de l’Homme Fente, vous explorez le son. D’où vient cette idée de créer un film sans images ?
Vimala Pons : J’écoute beaucoup de films, juste le son. C’est d’ailleurs devenu une sorte de hobby-passion. Pour la réalisation sonore de Mémoires de l’Homme Fente, j’aurais voulu que les prises de son se fassent en décors naturels, faire une suite de « sons seuls » et « d’ambiance » comme au cinéma, et coupler cela avec l’enregistrement studio de la voix du narrateur. J’ai finalement tout fait chez moi, les voix et les bruitages dans mes toilettes, sur ma chaise, dans ma cuisine, avec un papier de mars glacé qui traînait… L’idée d’un film sonore, plus qu’un livre audio, me séduit énormément car l’hors-champ y est très fort, de ce fait. Ce n’est pas la même façon d’écrire aussi : « story-board mental » versus « littérature ».
Autant que toute la partie sonore, cette musique « tapis », une musique d’ambiance, une musique comme un texte à trous, assez pauvre pour que les images aient la place de se former dans la tête de l’auditeur. Une musique « tuteur » et maladroite. Pour cela je me suis entourée d’un Moog modèle D (synthétiseur de années 60), d’un Omnichord (harpe électronique), un Tom bas, 3 cymbales, une clarinette métal Sib de marque Selmer, un pipeau, un Farfisa et un Korg DDD-1 (boite à rythme).
Par ailleurs, Les inspirations musicales tournent autour du travail de Haruomi Hosono dans son album Philharmony, les thèmes composés par Mark Mothersbaugh dans The Aquatic Life de Wes Anderson et Robert Görl en général.
Qu’est-ce qui vous a inspiré et comment avez-vous travaillé ?
Vimala Pons : J’ai écrit l’histoire pendant 15 jours lors d’un été, sur un carnet-papier moleskine noir. Puis l’année suivante, à la même période, j’en ai fait une maquette audio en laissant les plages d’interventions vides pour les acteurs – Bruno Podalydès, Antonin Peretjatko, Pauline Laurillard, Marie Losier, Felix Kubin, Bertrand Mandico, Baya Kasmi, Santiago Mitré, Bernard Menez, Julia Lanoë & Tsirihaka Harrivel. Puis, pendant le confinement du mois de mars, ne pouvant faire de vraies séances d’enregistrement avec eux, j’ai tout finalisé moi-même. J’en suis un peu triste, ça apportait beaucoup à l’histoire et j’avais écrit pour eux.
Le montage était déjà écrit sur le papier. Il mettait en parallèle deux récits venant s’entrechoquer par moment. La rencontre de deux lignes de narration qui finissent par dialoguer entre elles dans une sorte de méta-texte qui s’imbrique de plus en plus. Le principe de jeu « en rupture », de ne pas finir une phrase, de zapper, de couper le son en cut sans attendre la fin car on a compris avant même que l’adverbe ne soit prononcé, et que l’évocation fait briller les choses par leur absence. Comme ne pas finir une pensée, ou qu’un infime détail de ce qu’on vit nous projette dans un autre détail si ténu de ce qu’on a pu vivre, ou de ce qu’on aurait pu vivre.
Salles des ventes, scènes d’enfances, toilettes, vous invitez à fermer les yeux, à se laisser porter dans un monde fantasmé. Qu’espérez-vous déclencher chez l’auditeur ?
Vimala Pons : Revenir au son c’est quelque chose qui m’a beaucoup apaisée dans ma vie. Soit à travers l’écoute de fictions cinématographiques qui ne sont pas destinées à ça, soit à travers l’Ambiante japonaise en général, qui, plus qu’une musique, je trouve, propose de se placer différemment en soi pour écouter le monde. Comme l’ASMR. Je crois que Duras a dit « le cinéma c’est le son ». Bon. Elle exagère toujours mais je l’aime.Alors que, Brian Eno a dit, « Remember those quiet evenings ». Ce qui m’a inspirée c’est quelque chose entre ces deux phrases.
Vous-sortez cette nouvelle forme artistique sous format cassette audio, un format vintage, pourquoi ?
C’est l’invitation du label indépendant Transcachette Tapes qui est à l’origine de ce projet, et de ce choix de support. Loup Gangloff, créateur du label et musicien, sort sur format K7 et numérique les artistes qu’il choisit, dans la grande tradition de la contre-culture. Pourquoi ? Parce que c’est moins cher tout simplement.
J’ai d’ailleurs collaboré avec lui pour le mixage qui a été très important et avec Olivier Demeaux (Cheveux, Heimat) pour le master. Ils ont été tous les deux une aide précieuse et des oreilles avisées.
Quelles sont vos futurs projets, incluent-ils une suite à ce film sans images ?
Vimala Pons : Oui. Je vais sortir sur le label Kythibong et WARRIORECORDS une nouvelle histoire sonore, complètement différente. Ça s’appellera Eusapia Klane. Cette fois avec l’aide d’un seul synthé, un petit MPK Mini Play Akai et un micro Audio Technica AT 4040, j’ai enregistré cette histoire me débattant avec les restes de mon option anglais renforcé et les visions auditives d’un road trip avorté que je n’avais pas réussi à faire sur la mythique Route 66 en 2010.
C’est l’histoire d’une femme qui s’appelle Eusapia Klane qui va chez le concessionnaire de voiture, car elle se dit qu’elle pourra probablement échanger sa voiture actuelle contre une voiture neuve. Elle essaie donc une voiture, avec laquelle elle s’enfuit vers Malaxy, loin de sa ville natale, qu’elle n’a jamais quittée auparavant. Dans ce nouveau lieu, elle rencontre une femme qui lui délivrera un message augural. Eusapia décide alors de partir avec cette femme vers un autre ailleurs, mais toujours dans la même voiture. C’est beaucoup plus simple. Ce récit audio fera aussi partie du spectacle que je prépare qui s’appelle Le Périmètre de Denver. Les deux sortiront pour l’hiver 21.
Entretien réalisé par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Mémoires de l’Homme Fente, de Vimala Pons, chez Transcachette Tapes, 7 € la cassette, 6 € en version numérique. Sortie le 16 novembre.
Crédit photos © Frédéric Lemaitre, © Marion Maîtrejean, © Ecce Films et © DR